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Le Noël de Marcel

1 mai, 2011

 Marcel s’est confortablement installé dans son fauteuil, déposant sa canne à portée de main, sur le bras de son meuble préféré. Il respire avec peine : il vient de faire quelques pas dans les chemins environnants, et se juge fatigué. Mais les autres n’en sont pas sûrs : ils ont toujours le sentiment qu’il en rajoute un petit peu pour qu’on lui prête davantage d’attention. Ils savent que Marcel aime bien se plaindre. Lui, il affecte souvent de pendre un ton bourru tout en ayant beaucoup de cœur, il trouve que ça lui va bien.

Marcel passe les doigts sur sa moustache blanche, comme pour s’assurer de sa présence. Il a voulu laisser pousser cet ornement : il pense ainsi avoir l’air encore plus « grand-père ». Pour renforcer encore cette impression, il s’est affublé d’un pantalon de velours côtelé ancien, et d’un gilet d’une couleur indéfinissable, boutonné jusqu’au cou. Il a enfilé ses charentaises : elles ont perdu leur forme, elles sont même un peu trouées, mais il s’y sent à l’aise, comme chez lui.

Il a voulu également un feu dans la cheminée que sa fille Juliette a activé rapidement. En cette veillée de Noël 2040,  la température est clémente, la neige est absente. A ce sujet, Marcel enrage comme chaque année : il ne se souvient même plus de son dernier Noël sous la neige. Voilà déjà une décennie que le réchauffement de la planète a nettement fait sentir ses effets et qu’on n’arrive pas à avoir froid le 24 décembre. Mais Marcel a ronchonné pour avoir sa flambée, d’abord parce que ça  lui fait plaisir de ronchonner et puis ensuite parce qu’il estime que la tradition de ce jour exige un feu de cheminée dans son décor. Et puis en attendant le Réveillon, il pense qu’il sera bien là, au coin de sa flambée, auprès des siens.

Enfin immobile, il jette un coup d’oeil circulaire : sous ses paupières fatiguées, ses yeux d’un bleu pâle surprennent dans un visage que des sillons, creusés par le temps, ont sculpté comme un masque. Son regard lui donne encore un air juvénile et parfois malicieux que les enfants adorent. Il maugrée encore une fois contre la douceur du temps, comme l’an dernier. Il ne manque pas de rappeler que les Noëls de son enfance étaient marqués par la messe de minuit à laquelle il convenait d’assister avant de passer à table, même si l’on était transi de froid et saisi par le sommeil. C’était une fête religieuse, de son temps, il fallait souffrir un petit peu pour être récompensé.

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