Archive pour mai, 2011

Une petite fille bien embarrassée

31 mai, 2011

Quand on a huit ans, il faut avoir une boîte secrète où l’on enferme tout ce que les autres voudraient bien connaître. Mais comme c’est secret, les autres ne sauront jamais ce qu’elle contient. C’est une astuce que je recommandais parce j’estimais qu’elle permettait d’attirer l’attention sur soi quand on ne savait plus quoi faire comme bêtise. Jusqu’à qu’une suite d’incidents regrettables me conduisent à changer radicalement d’avis. 

Grand-mère Martinaud avait, comme ça, un petit coffret qui trônait sur sa cheminée. Par moment, elle l’ouvrait avec une clé dorée qui pendait autour de son cou et admirait son contenu pendant un long moment. Personne ne savait ce qu’elle  conservait. Mon cousin Luc qui prétend tout connaître – mais Luc estime être au courant de tout, surtout des choses que les adultes ne veulent pas dire-  mon cousin Luc disais-je, affirme que le coffret de la mémé contenait les restes de son grand-père dont le corps avait été volatilisé par un obus allemand dans les tranchées de 1914. Seul, un orteil avait été ramassé et rapporté à sa veuve. Le doigt de pied était ainsi légué d’une génération à l’autre, chacune étant invité à se recueillir pieusement devant cette relique. 

Bref, j’ai pris une boîte à chaussures de ma mère et j’ai décidé d’en faire mon coffret personnel. Le seul problème, c’est que je ne savais pas quoi mettre dedans. L’éventualité de ne rien avoir à cacher me terrorisait. Luc aurait tôt fait de démasquer mon manque d’imagination et de s’en moquer cruellement. A quoi bon faire des cachotteries si l’on n’a  rien de confidentiel dans sa vie ? Luc dirait sûrement que c’est encore une idiotie de fille !

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Une histoire de maçon

30 mai, 2011

Il m’arrive une tuile.

Je n’ai plus pignon sur rue.

Il faut que je trouve cent briques.

Car je suis à la rue : je n’ai plus de toit.

Je dois faire le mur.

Entre minuit et une heure, il y a une fenêtre.

J’aurai un alibi en béton.

Puisque tu me serviras de couverture.

Le destin d’Albert

29 mai, 2011

En rentrant chez elle, la porte était ouverte. Pourtant Martha avait soigneusement refermé la villa de la vieille après son premier passage pour ne pas attirer l’attention. Elle en était sûre ! Après dix ans de professionnalisme, Martha ne pouvait pas faire une erreur aussi grossière. Elle n’avait pas l’habitude de bâcler le travail. 

Martha était mieux connue sous le nom de « la Tigresse » dans les milieux policiers. Vêtue d’un juste-au-corps sombre, d’un collant noir et d’une cagoule qui dévoilait ses yeux verts comme l’émeraude, elle se déplaçait avec l’agilité d’un félin. Ses cambriolages préparés avec minutie et une précision implacables laissaient impuissants les meilleurs limiers de la gendarmerie nationale et remplissaient les colonnes de journaux avides de sensations fortes. 

En dépit de l’imprévu de la porte d’entrée qu’elle jugea fâcheux, elle résolut de s’avancer dans le hall plongé dans la pénombre, sa torche entre les mains. Martha était réputée pour n’avoir peur de rien. Elle était néanmoins sur ses gardes comme chaque fois que le scénario n’était pas exactement conforme à ses prévisions. Une petite voix lui susurrait de rebrousser chemin, mais son goût du travail bien fait lui ordonnait de poursuivre.

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Orientation professionnelle

28 mai, 2011

Aujourd’hui, 5 juin 2054, Georges a rendez-vous avec l’officier-orienteur. Georges a fêté récemment ses quinze ans, mais c’est un garçon mûr pour son âge qui se pose beaucoup de questions. Pourquoi l’armée s’occupe-t-elle maintenant de l’orientation professionnelle ? Par exemple. 

Marie, sa mère, a du lui expliquer la vie. D’abord il n’est pas bien de s’interroger avec impertinence sur les décisions des autorités publiques. Ensuite la société a besoin que les jeunes gens et jeunes filles soient dirigés vers un avenir professionnel sérieux qui procure de réels débouchés. Une loi récente a interdit d’être chômeur. 

Marie ne tient pas à revivre les angoisses qu’elle a connues lorsque Armand, le frère ainé de Georges, a été pris en flagrant délit de préparer une thèse de droit romain alors qu’un telle matière a été visée par un décret de l’Education Nationale parmi les études qui ne servent à rien et ne doivent donc pas faire l’objet du moindre mémoire d’étudiant ! 

Le lieutenant accueille Georges avec bienveillance. C’est un homme carré et sûr de lui, cinglé dans un uniforme aux multiples décorations. Il a su remettre dans le droit chemin tant de jeunes égarés ! Il montre patiemment à Georges les diverses voies entre lesquelles il lui conseille fortement de choisir.

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Grosse affaire!

27 mai, 2011

Physiquement, Gérard était un mastodonte.

Dans les couloirs des ministères, c’était un homme de poids.

Devant les mammouths de son parti, son discours avait été énorme.

C’était une véritable charge contre le pouvoir.

Il  l’avait préparé par un travail gigantesque.

Finalement, il avait sauvé le Géant Casino de sa commune,

Qui n’avait pas fermé malgré son déficit colossal.

Dans son corps d’Hercule, Gérard avait été formidable.

Il  pourra se détendre en s’occupant de ses massifs de roses.

Le destin inexorable de Marcus

26 mai, 2011

            Marcus était un homme bon et généreux qui se faisait un devoir de ne jamais rien réclamer pour lui. De quel droit, lui, misérable créature humaine, aurait-il sollicité un avantage particulier ? Une faveur personnelle ? Avec un tel principe qui conduisait sa vie, Marcus ne s’était pas élevé très haut dans la hiérarchie des hommes de son village. Ce qui lui convenait puisqu’il ne tenait pas à être distingué par ses semblables. Il s’était enfermé dans une espèce d’orgueil qui lui interdisait toute allégeance aux conventions sociales, toute esquisse de soumission aux valeurs si pauvres véhiculées par la société humaine qui l’entourait. Marcus était un homme sage, mais austère. Dur avec les mesquineries des autres, impitoyable avec ses propres écarts à la morale. 

Son apparence physique était terne. D’une taille moyenne, son corps était déformé par le travail manuel : plutôt vouté, flasque sur les hanches et doté de membres disproportionnés. Son visage grave souriait très mal. Lorsqu’il essayait de rire devant sa glace, il avait l’impression de se lancer une grimace à lui-même. Seuls ses yeux noirs et luisants pouvaient laisser deviner la richesse de sa vie intérieure, au cas bien improbable où un observateur aurait marqué un intérêt pour cet homme. 

Pour Marcus, il était important de tout donner et de ne s’attendre à aucun retour. La nuit de l’incendie de la grange du père Louis, il se porta en première ligne pour lutter contre le feu malgré les dissensions qui l’opposaient à son voisin depuis si longtemps pour l’exploitation d’une parcelle de terrain. Grâce à son énergie et à sa prise de risque, le feu fut rapidement maîtrisé. Ses concitoyens admirèrent son courage et son sang-froid, puis retournèrent se coucher. Lorsque Louis, en essuyant l’émotion qui dégoulinait sur sa moustache gauloise, tendit sa main calleuse à Marcus, celui-ci sut trouver les quelques mots pleins de dignité virile pour dire que les petites querelles intestines devaient s’effacer devant l’exigence de la solidarité entre les hommes en cas de catastrophe imminente. Pour Marcus, si l’entraide de voisinage ne jouait pas, chacun devrait s’attendre au pire.

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Médecins malgré eux

25 mai, 2011

L’otorhinolaryngologiste  écoute d’une oreille.

Mais pour ses affaires, il a  le nez creux.

Le podologue part toujours du bon pied.

La manucure a la main baladeuse.

Et parfois le doigt accusateur.

L’oculiste à l’ œil aux aguets.

Le chirurgien esthétique est doté d’un menton volontaire.

L’acupuncteur ne manque pas de piquant.

Tandis que le dermato cherche à sauver sa peau.

Sale affaire à Amsterdam

24 mai, 2011

Je me suis réveillé avec la marée. Sans doute l’influence du milieu aquatique sur mon cerveau dérangé. Dans le port d’Amsterdam, il n’y a pas que des marins qui chantent les rêves qui les hantent. Il y aussi des gens convenables ou presque, les pieds pris dans un bloc de béton. Au fond de l’eau. 

Je n’aurais jamais du contrarier Mauricio. Il m’a retrouvé sur cette place d’Amsterdam. Je n’ai même pas eu le temps de dégainer. Il a encore fallu courir. 

La dernière fois que nous nous étions croisés, j’avais du déjà m’enfuir. Je crois que c‘était dans un bouge de Montevideo ou alors à Caracas. En tous cas, il y avait un carnaval dans la rue. Mauricio avait émis des doutes sur la régularité de mon comportement dans une simple partie de poker ! Je m’en étais tiré en me faufilant dans la foule. 

Hier soir quand nos regards se sont croisés, j’ai bien compris qu’il n’avait pas oublié cette course effrénée dans des artères envahies de festivaliers ivres et joyeux. 

Heureusement, j’ai toujours cultivé une spiritualité élevée. Dans la bande, on m’appelait « le Moine ». Vingt mois de stage chez les taoïstes du Tibet, trois semaines par an chez les bouddhistes de Thaïlande, une rare bibliothèque consacrée à la théosophie, voilà qui forge une conviction profonde. Comme prévu, mon esprit astral est sorti de mon corps au moment où Mauricio a jugé bon de basculer ce qui en restait dans les eaux troubles du port. 

J’ai une petite mine, ce matin.

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Préjugés

23 mai, 2011

Le salarié est toujours pauvre

Tandis que le capitaliste est un profiteur

Dit l’économiste qui, lui, est distingué.

L’écologiste est convaincu

Au moins autant que le balayeur est municipal 

Le panneau est indicateur

Au même titre que le paysan est brave

Et le juge impartial.

Ou alors le plombier zingueur.

Et l’homme sandwich.

Supplices

20 mai, 2011

La guigne me poursuit depuis si longtemps.

Les enjeux m’ont souvent paralysé.

L’injustice m’a toujours indigné.

Aujourd’hui la stupéfaction me fige.

Car, enfin la chance me sourit.

Le sentiment de soulagement m’étreint

Après que celui de déception m’ait longuement taraudé.

Il  était temps :  l’impatience me brûlait

Le silence me pesait

Et l’inquiétude me gagnait.

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