Archive pour mars, 2011

Bruits

11 mars, 2011

Julien arrête sa voiture devant la mer dans un grand crissement de pneus.

Il fait froid, il claque des dents.

Mais il veut encore entendre le sifflement du vent qui balaie la plage.

Le chuintement des vagues qui s’affalent sur le sable désert.

Le criaillement effaré des mouettes affamées.

La corne de brume des navires du port.

Le jappement lointain d’un chien perdu.

Le claquement d’un volet mal clos par un estivant enfui.

Les bruits de novembre sur le rivage déserté.

Le cerveau de Marco

10 mars, 2011

Il ne va pas bien mon Marco. Il n’arrête pas de fumer, il est plein de tics. Il vérifie ses robinets trente-six fois avant de partir. Il se tortille les doigts. C’est un être angoissé. 

En tant que cerveau de Marc, il faudrait que je fasse quelque chose pour lui.  Le malheur c’est que je suis plein et même complètement débordé. 

J’absorbe, j’absorbe… Et je ne sais plus où ranger mes affaires. Je croyais avoir mis la réunion d’aujourd’hui en haut à droite. Mais j’y retrouve la visite chez le dentiste ! Dans le placard de gauche, j’avais rangé la fête de l’école de Julien, mais je ne la retrouve plus. J’ai du mettre un rendez-vous important par-dessus ! 

Je ne sais plus où j’en suis. Mes connexions s’embrouillent, Marco aussi. Il n’arrête pas de se ronger les ongles. J’ai mal pour lui, mais je ne sais même plus où j’ai mis le truc qui me dit que j’ai mal ! 

Tiens, voilà Duchemin qui nous parle. Mais comme je suis déjà plein, je ne sais même plus où ranger ce qu’il nous dit. Espérons que c’est sans intérêt, comme d’habitude. 

Bon, il faudrait quand même que je me décide à faire le ménage. Activons la connexion de triage. Qu’est-ce que j’en ai fais ? Tiens : la visite annuelle chez l’ophtalmo ! Qu’est-ce qu’elle fait là ? Je l’avais oublié, celle-là ! 

Ah ! Voilà la connexion neuronale du grand ménage ! Euh, non ! Celle-ci c’est la connexion qui me dit que je suis en retard par rapport à tout ce que je dois faire aujourd’hui ! Voyons, voyons, là c’est l’inscription au club de gym que je dois prendre depuis trois mois ! Ici, c’est le cadeau d’anniversaire de Marie que j’ai oublié ! 

Euh !  Hé, Marc ! On pourrait s’arrêter, le temps de tout ranger ! 

Encore une histoire aïgue

9 mars, 2011

Le commissaire Aristide Duchnoc avait un trou à son pantalon.

Il fallait qu’il perce ce mystère.

Pourtant, l’idée ne lui viendrait pas de s’asseoir sur un clou.

La fantaisie ne lui transpercerait pas non plus l’esprit  de donner un coup de ciseau à son vêtement.

Que s’était-il donc passé ?

Il fallait crever cet abcès.

En traversant la rue, il se mit à réfléchir.

En pénétrant dans son immeuble, une solution surgit.

Cunégonde, sa femme ne devra plus jeter un regard pointu sur ses tenues vestimentaires.

 

Sourds et muets

8 mars, 2011

Trouffignon avait un grand talent d’orateur. C’était un être bavard, charmeur, enjôleur. Les organisateurs de conférences se l’arrachaient. Il avait par exemple réussi à imposer la journée des pâtes au beurre au même titre que la fête annuelle des secrétaires. 

Malheureusement, à la suite d’un terrible accident, Trouffignon devint muet.  Il ne parlait plus qu’avec les mains. Il engagea Mac Bride pour traduire ce qu’il disait à ses auditeurs. 

Les choses allèrent de mal en pis puisque Mac Bride se mit à bégayer. Mac Bride dut à son tour embaucher Raminagrobis pour interpréter convenablement ses paroles qui reprenaient les discours de Trouffignon. 

Les trois êtres se déplaçaient ainsi de conférences en conférences. 

Mais bientôt, on s’aperçut que lorsque Trouffignon parlait de la culture de la framboisette des bois sur les hauts plateaux du Limousin, Mac Bride s’exprimait sur la découverte d’un astéroïde alors que Raminagrobis  faisait une analyse historique de la victoire de Philippe-Auguste sur les anglais à Bouvines en 1214. Nous avions ainsi trois conférences. Le problème, c’est qu’elles étaient données simultanément. 

Bref on ne comprenait plus rien. D’autant plus que les auditeurs, assez déroutés, n’écoutaient pas attentivement. Certains disait à propos de Trouffignon : « Mais qu’est-ce qu’il dit ? ». 

D’autres parlaient entre eux de sujets différents ou interrompaient les trois orateurs avec des questions qui n’avaient aucun rapport avec les thèmes traités. 

D’autres encore s’interpellaient ou déjeunaient de sandwiches en devisant gaiement. 

Les conférences de Trouffignon se déroulaient donc dans un brouhaha tel que personne ne comprenaient rien à ce que son voisin disait et d’ailleurs ne s’en préoccupait pas beaucoup.  C’était un véritable chambard. Trouffignon comprit très tôt qu’il ne fallait surtout pas y mettre bon ordre.   

Le succès de ces manifestations allait grandissant puisque les participants pouvaient dire ce qu’ils voulaient, interrompre les autres, ne pas les écouter. Autrement dit, c’était une occasion rêvée pour chacun de se trouver nettement plus intéressant que son entourage. 

Lorsque Trouffignon qui rappelons-le était muet, décida de ne plus s’exprimer, ce fut un véritable triomphe. On loua son esprit d’ouverture aux autres puisqu’il n’y avait même plus de sujet à ses conférences. Mac Bride qui n’avait jamais appris le langage des signes put enfin se déchaîner sur ses sujets préférés en bafouillant de plus en plus tandis que Raminagrobis qui ne comprenait que goutte à ce que disait Mac Bride intervenait sur autre chose auprès d’une salle bourrée d’auditeurs qui n’écoutaient pas, monologuant chacun de sons coté. 

Trouffignon était fier de lui. Chaque participant était devenu aussi muet que lui-même puisque personne n’entendait personne. 

Histoire aïgue

7 mars, 2011

Durant cet hiver-là, il gelait à pierre fendre.

Gus se terrait au fond de sa tanière.

Il découpait  des saucissons de sanglier qui garnissaient son garde-manger.

Il se disait qu’au printemps, il trancherait dans le vif.

Il couperait court aux rumeurs.

Il décapiterait la médisance.

Il diviserait ses terres en parts égales pour chacun de ses enfants.

Il se séparerait de son tracteur.

Et taillerait la route

En salle d’attente

6 mars, 2011

La population qui se presse dans le hall de la gare de Lyon se divise en quatre catégories. La première est constituée des « têtes en l’air » qui passent leur temps à lever les yeux au ciel. On dirait qu’elles essaient de convaincre d’une prière muette le tableau des départs de l’urgence qu’il y à prendre en considération le trajet qu’elles ont programmé. 

            Aux cotés de ce public, on observe une autre classe sociale qui tient également à emprunter les chemins de fer mais qui souffre d’une autre préoccupation plus terre à terre : « les affamés ». La principale occupation des « affamés » est de se presser devant les multiples échoppes qui vendent les mêmes sandwichs dégoulinants, aux mêmes prix exorbitants en affrontant la même impatience de vendeurs à l’air exaspéré et pressés d’en finir avec une journée qu’il recommenceront à l’identique le lendemain et pour de nombreuses années encore, compte tenu de l’état du marché du travail. 

Les « affamés » se distinguent des têtes en l’air par leur habileté à garder un œil sur le tableau des départs de trains, tout en veillant à la monnaie que les jeunes faiseurs de sandwichs leur rendent. 

Dans le bas de la hiérarchie sociale, on voit apparaitre derrière les « affamés », une catégorie humaine particulière : « les maudits ». Les maudits n’ont qu’une envie : accéder à la classe des « affamés ». C’est la raison pour laquelle ils se positionnent juste derrière ces derniers en tendant la main en vue d’une obole qui leur permettrait à leur tour d’accéder au rang « d’affamés ». 

« T’as couché Jérémy ? »

(suite…)

Le Commissaire met le couvert

5 mars, 2011

J’en ai soupé de cette affaire.

Mon dossier est plat comme une limande.

Je suis dans le potage.

Je n’ai pas le moindre indice à me mettre sous la dent.

Nous n’en sommes qu’aux hors d’œuvre.

Mais j’ai mes entrées au Château.

Je vais tous les cuisiner.

Il va falloir qu’ils passent à table.

Le coupable va déguster.

Soyons fort !

4 mars, 2011

Je supporte mon équipe de foot

Je dois soutenir ma thèse

Je porte les espoirs de ma famille.

J’appuie ma demande de logement.

Je force le respect par mon courage en toutes circonstances.

Je soulève l’enthousiasme des foules par mon tempérament fougueux.

J’arrache un sourire de satisfaction à mon professeur.

Je tiens à bout de bras mon projet familial.

Quelle athlète !

Au bar des amis

3 mars, 2011

Comme chaque jour vers dix-huit heures, Georges et Lucien sont accoudés au zinc de Louis devant leurs petits blancs. Soixante dix huit ans d’atelier à eux deux, ça forge une amitié. La retraite, ça ne forge rien du tout, mais au moins on a le temps de s’en apercevoir. 

Georges n’est jamais peigné. C’est une marque de fabrique : chez lui, le cheveu, gris maintenant, est hirsute et rebelle. Juste après la guerre, Maria lui avait bien acheté un peigne, mais il a rendu l’âme après quelques escarmouches capillaires. Georges a de merveilleux yeux, bleus pâles, étrangement expressifs dans un visage largement creusé par les atteintes de l’âge. A l’atelier, il s’était taillé une belle réputation d’endurance, Georges. Petit et sec, il se comparait facilement à un coureur éthiopien de dix mille mètres. On aurait dit qu’il pouvait courir de partout, à la même allure, des bureaux aux machines en passant par la salle syndicale pendant une éternité. Georges a toujours eu envie de tout connaître de la vie avant qu’elle ne lui échappe. Il est à la fois anxieux et attentif à son entourage, c’est pour ça que Lucien l’aime bien. 

La silhouette de Lucien est l’opposée de celle de George. A la sortie de l’usine, on les appelait plaisamment Laurel et Hardy. On ne peut pas dire que Lucien soit gros, il est fort. Son estomac pansu déborde systématiquement de son pantalon malgré la résistance acharnée de la ceinture. Sa petite tête moustachue trône au-dessus d’un torse en forme pyramidale. Le regard est noir et prompt à s’étonner. Lucien est surpris de beaucoup de choses. Son béret, marqué par les blessures du temps, couronne son front glabre. Parfois il est rejeté en arrière, geste favori de l’homme lorsqu’il sent le moment venu de réfléchir. Lucien est un homme pondéré qui n’aime pas l’agitation, ou plutôt qui ne comprend pas qu’on puisse ne pas prendre le temps de vivre. Il regarde la fébrilité permanente de Georges comme un objet de curiosité. Par moment, il se peut qu’il l’admire. 

Aujourd’hui, Lucien pense qu’il va falloir basculer son couvre-chef vers l’arrière. On est mardi. Chaque jour, Georges pose beaucoup de questions à son ami,  d’une part parce qu’il faut bien entretenir la conversation et d’autre part parce qu’il est comme ça, Georges : il faut qu’il s’interroge. Mais le mardi, c’est encore plus grave : c’est le jour des problèmes philosophiques. L’angoisse existentielle le saisit toutes les semaines, à peu près à la même heure. Aujourd’hui, il se passe longuement la main sur le menton avant de poser la question dont il entend débattre. 

-          Lucien, tu vois… Finalement, je suis pour l’inégalité entre les hommes. 

L’attaque est rude pour Lucien qui n’avait pas préparé le sujet. Il a repoussé son béret en position de pensée profonde, mais il sent que la manœuvre va être insuffisante : il déboutonne sa vareuse, toussote pour se donner le temps de répondre et prend un risque : 

-          -Georges, tu ne vas quand même pas voter à l’extrême droite ! 

Lucien ne sait pas trop pourquoi il a répondu ainsi mais il sait qu’il faut donner le répartie à son ami. Sinon, ce dernier sera malheureux car il ne pourra pas creuser sa pensée.

(suite…)

Nouvelle leçon de géométrie

2 mars, 2011

Elle va à la pâtisserie qui fait l’angle de la rue.

Pendant que je tourne en rond.

Et que je lis le journal en diagonale.

Son choix m’est équilatéral.

En gâteaux, elle en connait un rayon.

Elle saura prendre de la hauteur.

C’est quelqu’un de carré.

Et d’ordonné.

De toute façon, j’ai ses coordonnées.

Elle ne pourra pas prendre la tangente.

Ni invoquer une sinusite.

L’ovale de son visage.

Et les courbes de son corps

Me fascinent.

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