Albert Martinet
31 mars, 2011La silhouette d’Albert Martinet était longue et osseuse. Elle se terminait par un crâne en allure de point d’interrogation. Ses yeux inexpressifs derrière ses fines lunettes donnaient à son visage une allure terne. Les rides de son front découvert par l’âge creusaient un visage qui respirait l’austérité, voire l’ascèse. Son attitude générale était empruntée et maladroite. On avait l’impression qu’il était embarrassé par la longueur de ses membres. Ses anciens élèves du lycée l’avait affectueusement surnommé « le squelette » ou parfois « Frankenstein » pour les plus aimables.
Monsieur Martinet avait pris sagement sa retraite quand l’heure avait sonné de la même manière qu’il avait exigé pendant trente cinq années de carrière que ses élèves rentrent en classe à l’heure précise de la fin de récréation. C’est-à-dire sans rechigner, sans regrets, sans un mot plus haut que l’autre. La vie était pour lui un long chemin dont il convenait de ne pas dévier sous peine de déshonneur.
Albert Martinet s’était retiré solitaire dans son appartement. Il n’en sortait presque jamais sauf pour faire des courses que Madame Bourguignon, son employée de maison, oubliait de temps à autre. L’obligation d’échanger quelques mots familiers avec les commerçants du quartier était un calvaire pour lui. En entrant dans l’épicerie du père Grenier, Albert prenait toujours soin de se réciter mentalement des remarques appropriées à la météorologie du jour de manière à donner la répartie qui plairait au propriétaire des lieux lequel ne manquerait pas de lui faire part de son sentiment sur la question.
Son logis lui avait été légué par ses parents. Son agencement, sa décoration n’avait pas changé depuis le décès de sa mère. Haut de plafonds, il comprenait deux chambres, une cuisine, une salle de bains, un salon et une bibliothèque particulièrement riches d’ouvrages aux reliures précieuses qui servait de bureau de travail à Monsieur Martinet. Toutes les pièces étaient revêtues d’un parquet de chêne brillamment entretenu par Madame Bourguignon. Les fauteuils, les tables, les fausses cheminées étaient ornés de napperons de dentelles auxquels Albert Martinet tenait beaucoup. Il s’agissait de l’ouvrage de sa mère dont il entretenait ainsi le pieux souvenir.