Un kidnapping

Maurice est enfermé dans cette cave humide depuis trois jours. Il ne demandait rien à personne, Maurice. Il venait de trouver un emploi intérimaire dans une entreprise de jouets. Noël approchant, les affaires marchaient bien. Le chef avait dit qu’il pourrait peut-être le prolonger d’un mois.  Mais voilà, c’est tombé sur lui. Plus exactement, la bande des Lauriers l’a assailli alors qu’il rentrait dans son HLM. Maurice est plutôt fluet, il n’a pas résisté longtemps aux cinq gaillards qui l’ont kidnappé. Depuis, il ne voit plus passé les jours et les nuits dans ce trou dont les rats ne voudraient même pas. Sa tignasse crépue le démange. En passant sa main sur son menton en galoche, il lisse sa barbe naissante. Ses vêtements sentent mauvais. 

Maurice commence à trouver le temps long. D’autant plus qu’il les connait les types des Lauriers. Des cinglés. Complètement désœuvrés. Prêts à faire n’importe quoi, surtout si c’est illégal.

Luis vient lui apporter un sandwich et une bière de temps à autre. Il s’assied à coté de Maurice sur le matelas pourri sur lequel il tente de se reposer. Luis est probablement le plus civilisé de la bande. Le bruit court qu’il aurait poursuivi ses études jusqu’en troisième de collège et qu’il aurait loupé son brevet à quelques points près. Il ne peut s’empêcher de cultiver sa réputation d’intellectuel. 

Il pose sa main sur le genou de Maurice. Cordialement. Entre hommes. « Que veux-tu, la violence appelle la violence ! » 

Satisfait de cette introduction, Luis entreprend de se justifier : « Ecoute, Maurice, il faut comprendre, ça faisait six mois qu’on avait rien fait ! Aux Rosiers, ils ont brûlé six voitures et subi trois arrestations ! Il fallait qu’on remonte au score ! On a donc décidé de t’enlever ! » 

Maurice mastique péniblement son sandwich et déglutit sa bière éventée. « Tu me diras : pourquoi moi ? «  

Maurice ne dit rien. Il a l’habitude des pépins. C’est presque naturel que l’inaction d’une bande de loubards incultes se soit retournée violemment contre lui. Luis ne s’appelle pas ainsi, mais Louis. Il préfère Luis, ça fait nettement plus exotique. Un petit coté bandit mexicain en quelque sorte. Il poursuit : 

« Pourquoi toi ? … Tu te rends compte, un type qui cherche du boulot ! Et qui en trouve ! Dans un quartier comme le nôtre, ce n’est pas tolérable ! Il faut savoir être raisonnable ! » Maurice s’essuie le menton de la manche de son blouson crasseux. Il prend Luis par l’épaule et l’interroge paternellement sur son avenir. 

Luis secoue sa crinière blonde et se lève d’un coup. Ses joues rebondies d’adolescent s’empourprent : « Arrête de penser, Maurice, et rends toi un peu compte de ta situation. Nous sommes des êtres violents et sauvages. En révolte contre cette société qui ne nous écoute pas. Ne joue pas avec nos nerfs. Jacot est en train de négocier ta rançon avec ta sœur ! » 

Maurice répond que sa famille n’a pas d’argent et que la bande des Lauriers aurait mieux fait d’enlever un homme d’affaires cousu d’or. « Enlever un capitaliste ? Mais mon pauvre, nous n’avons même pas de quoi acheter un ticket de bus pour aller en centre-ville !  A part se casser mutuellement la figure avec ceux des Rosiers, on a rien trouvé de mieux pour s’occuper que t’enlever. Je reconnais qu’on a sous-estimé un peu le problème, parce qu’il faut aussi te payer à bouffer ! » 

Maurice répond qu’il est désolé d’avoir à se nourrir. L’ironie n’effleure pas l’entendement de Luis qui poursuit fièrement : « Bon d’accord… personne ne se précipite pour te récupérer, mais au moins on fait peser la terreur dans les environs. Il n’y a pas beaucoup de quartiers aussi pourris que le nôtre où plus personne n’est sûr de pouvoir rentrer chez soi. Les mecs des Rosiers sont enfoncés ! » 

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