Vingt ans plus tard
Vers huit heures du matin, Georges s’est retrouvé sur le trottoir. Il s’est mis à marcher. Sans but précis. Georges se prit à penser qu’un homme qui met les pieds sur un trottoir doit obligatoirement marcher. C’est obligatoire. C’est un réflexe atavique.
Alors que la foule matinale commençait à défiler en rang serrés autour de lui, il comprit qu’il se trompait. Des hommes restaient immobiles sur le pavé. Pire, certains s’asseyaient par terre sans se préoccuper du regard des passants. D’autres avaient passé la nuit couchés sur un enchevêtrement de cartons déchirés er de couvertures pourries. Les êtres qui marchaient ne semblaient nullement s’en préoccuper.
La circulation était déjà intense, bruyante et enfumante. Les hommes et les femmes juchés sur leurs vélos étaient nombreux. Beaucoup d’entre eux peinaient, les traits tirés, prenant le risque à chaque instant d’être accrochés par une voiture maladroite. Georges pensa que ces cyclistes n’avaient plus les moyens de s’acheter un véhicule.
Pour un matin de janvier, l’air était curieusement doux. Les gens autour de lui ne se parlaient pas. Ils avaient tous une espèce d’écouteur dans les oreilles. Peut-être recevaient-ils des ordres d’une autorité invisible qui leur dictait leur conduite. D’autres personnes avançaient la tête penchée. Georges crût qu’il devrait aussi infléchir la tête en marchant, avant de s’apercevoir que ces hommes et ces femmes tenaient dans le creux de leur main un petit objet qui ressemblait à un téléphone minuscule. Ils n’avaient pas, sans doute, les moyens de s’acheter un moyen de communication plus facile à tenir au bout des doigts.
Parfois, des enfants le dépassaient en portant des cartables bringuebalant sur leurs chétives épaules. Certains portaient des pantalons trop courts qui s’arrêtaient à mi-mollets. Pour d’autres au contraire, ce vêtement était beaucoup trop long, retombant en plis lourds sur leurs baskets maculées. Georges ne se rappelait pas avoir été vêtu aussi pauvrement pour aller à l’école.
Il voulut revoir Geneviève. Lorsque celle-ci ouvrit la porte lourde et grinçante de son appartement, il comprit son erreur. Elle avait exagérément pris du poids. Trois enfants, ça n’aide pas à garder la ligne. Son peignoir bleu taché de café et de cendre la fagotait misérablement.
Geneviève lui offrit du jus d’orange. Dans une bouteille en carton. Georges en déduisit que le niveau de vie de cette malheureuse avait bien baissé. Il chercha sur son visage son merveilleux regard bleu d’autrefois. Il eut du mal à entrapercevoir une étincelle sous ses paupières fatiguées, dans les replis de ses traits tirés.
Le monde et Geneviève paraissaient s’être appauvris.
Georges se souvint que, vingt ans auparavant, la société était riche, l’argent coulait à flots. Georges s’étonna de cette paupérisation Un cataclysme s’était sûrement abattu. Pendant tout ce temps passé en prison, il ne s’était aperçu de rien.
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