Archive pour le 21 décembre, 2010

Une erreur fatale

21 décembre, 2010

Je ne tuais pas. Ce n’était pas mon genre, je trouvais cette extrémité vulgaire. Je me contentais d’attaquer des vieilles personnes à domicile, de les bâillonner et de les ligoter sur une chaise. Elles étaient trop faibles pour résister à ma détermination. Au pire, si elles gigotaient un peu trop, elles prenaient une paire de claques, ça les calmait. Parfois, je ne les réveillais même pas. Ces incursions sans violence me ravissaient. Dans ces circonstances, j’étais au sommet de mon art délicat. 

J’avais la conscience tranquille puisque je ne portais pas atteinte à la vie d’autrui. Je dévalisais paisiblement appartements ou villas en choisissant mon butin d’un œil expert. Argent, bijoux, bibelots. Pourquoi les vieilles gens accumulent-elles tant de valeurs chez elles alors que tant de nos compatriotes se débattent dans la misère ? Est-ce bien moral ? J’avais alors l’impression de ressembler à Robin des Bois sauf que si je prenais aux riches, je ne voyais pas la nécessité de redistribuer aux pauvres. 

L’idéal était bien sûr de trouver des espèces sonantes et trébuchantes. Les vieilles personnes sont complètement dépourvues d’imagination pour les cacher. Il me suffisait de soulever une pile de draps dans une armoire ou d’ouvrir une boîte à sucre sur un rayonnage de la cuisine pour mettre la main sur des billets de banques. Les colliers, les bagues, les antiquités étaient plus difficiles à valoriser. Pour n’éveiller aucun soupçon, j’étais obligé de les négocier aux quatre coins du pays. Ces voyages pesaient fortement sur les coûts d’exploitation de ma petite entreprise. Je pestais contre le peu d’aide que les pouvoirs publics consentaient aux petits artisans. 

Sur mon passage, je laissais en évidence une carte à jouer. Le dix, c’est mon nombre fétiche. C’est un nombre qui ne ressemble à aucun autre. C’est le nombre qui ouvre la logue série de ses confrères à plusieurs chiffres. C’est un leader, un innovateur, un peu à mon image. Selon mon humeur, je déposais le dix de cœur, de carreau, de pique ou de trèfle. C’était un geste qui n’avait aucun sens pour les autres, mais je signais ainsi mes méfaits, je trouvais que ça leur donnait un cachet particulier. Une fois, j’ai laissé un six de pique et un quatre de trèfle pour faire rire la police qui s’épuisait à ma recherche. Apparemment sans réussite. Il y a des moments où les forces de l’ordre manquent d’humour.

(suite…)