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Un visiteur embarrassant

9 décembre, 2010

Ce matin-là, la rame du métro est bondée. Martial est adossé à la porte opposée à celle qui s’ouvrira au prochain arrêt. Autour de lui, la clientèle habituelle de la RATP patiente, le regard plongé dans le vide ou dans un survol expéditif des journaux à lecture rapide. A côté de Martial, un jeune black en survêtement violet se balance d’un pied sur l’autre au rythme d’une musique muette qu’un baladeur invisible distille dans ses oreilles. A sa gauche, une jeune fille rondelette, en blouson imitation de cuir noir et courte jupe plissée, serre précautionneusement son sac sous son bras. Deux ou trois personnes se bousculent devant Martial pour agripper la barre de maintien qui les préservera des cahots du wagon. Une vieille dame tremblante peine et s’assoit enfin sur un strapontin grâce à l’obligeance d’un ouvrier en salopette bleue qui mâchonne encore un mégot éteint au coin de sa bouche lippue et de son menton dévoré de pilosité. 

Ce peuple ordinaire est vêtu modestement. Tout ces gens semblent voûtés, comme courbés sous le poids de l’ennui, des problèmes de fin de mois et de la grisaille d’une vie sans relief. Par réaction instinctive à cette vision, Martial redresse sa haute taille. Il a l’œil noir et vif, les cheveux humides et peignés à la diable comme les portent les jeunes d’aujourd’hui. Sa carrure, cintrée  dans un costume taillé dans un tissu de qualité dénote un jeune homme sportif, aux revenus aisés. C’est un être humain que le langage populaire range volontiers sous le vocable de « jeune cadre dynamique ». Comme ses congénères, Martial sait que sa carrière professionnelle dépend plus de son allure et de son savoir être que de sa compétence. 

Soudain, c’est l’incident qu’il redoutait depuis quelques temps. 

-          Marsupilami ! 

Le cri de Martial a fait sursauter ses voisins qui le dévisagent avec anxiété. La jeune fille rondelette se faufile un peu plus loin dans la foule. Cette ligne de métro est connue pour la fréquence des agressions commises par les détraqués qui la hantent. Il faut être prudente ! 

Martial garde son sang-froid comme s’il n’avait rien dit  ou alors comme si évoquer le nom d’un héros de bande dessinée à haute voix au milieu de cette foule ensommeillée est une activité tout à fait ordinaire et convenable. 

Pourtant, Martial sait qu’il vient de révéler inopinément au monde un problème dont il souffre depuis longtemps.

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