Des retrouvailles
2 décembre, 2010L’assistante sociale épluche le dossier de Julien devant lui. Elle prend son temps, revient en arrière, annote les marges, soupire. Il n’y a pas si longtemps, c’était lui qui feuilletait ses fiches de renseignements sous le regard anxieux de salariés en sursis qui attendaient son verdict de l’autre coté du bureau.
Ex-spécialiste en ressources humaines, Julien a épuisé toutes les siennes depuis trois mois. Les nuits passées sur les bancs publics l’ont épuisé. Quelques tentatives en hôtels borgnes l’ont dissuadé de prendre le risque de se faire égorger dans une chambre délabrée et sordide pour quelques euros. Il se sentait plus en sécurité dans la rue, entouré de témoins potentiels. Paradoxalement, la rue est un endroit public, donc relativement sécurisant. Il a eu le temps de comprendre qu’on puisse refuser d’entrer dans un centre d’accueil d’urgence.
Manger est devenu une obsession. Il n’aurait jamais imaginé qu’un simple bol de soupe aux légumes puisse lui faire autant de bien. Se laver lui manque cruellement : il se sent sale, pouilleux et mal odorant.
Lui qui a passé sa carrière à remonter des entreprises défaillantes, il n’aurait jamais cru tomber aussi bas. Il y a six mois, il plastronnait encore dans des administrations impersonnelles et des ateliers promis à la fermeture, en laissant tomber parfois une sentence fatale ou un espoir momentané. Julien était pénétré de l’importance de sa mission. Sauvegarder la rentabilité des entreprises en licenciant aujourd’hui, permettait de créer d’autres emplois demain.
Son nom était craint, son jugement terrorisait.