Les saines colères de Louis

       -         Il faut être réaliste ! 

Aïe ! Quand Louis démarre comme ça, c’est qu’il est en colère. Et quand Louis est en colère, je suis prié de descendre du ciel en quatrième vitesse, par l’ascenseur si possible. 

 -         Redescend de tes nuages ! 

Tiens, aujourd’hui le ciel est chargé de nuages, Louis doit être réellement très contrarié. Je vais avoir droit à des citations historiques, peut-être un peu gaulliennes. Du genre : « Les choses sont comme elles sont ! ». 

-         Il faut voir les choses comme elles sont et non comme elles devraient être ! 

Louis connait aussi Racine et Corneille. On peut être d’un caractère bouillant, mais avoir fait « Lettres classiques ». Il ne m’a pas encore parlé de son auriculaire : 

 -         Tu fais ce que tu veux, mais moi, je ne me cache pas derrière mon petit doigt ! 

Ah ! bon ! Je respire. Pour Louis, il ya deux clans dans le monde : 

-         Je suis désolé, mais moi, j’ai les pieds dans la glaise !

C’est la première moitié de l’espèce humaine, ceux qui pataugent dans l’argile. Ce sont les paysans de nos campagnes, ceux qui ont les orteils sur terre, ceux qui ont su traverser les âges grâce à leur sagesse séculaire et à la certitude que rien ne leur sera donné qu’ils n’ont pas durement travaillé de leurs mains. 

 -         Arrête de rêver ! Réveille-toi ! Et puis, il y a ceux qui passent leur temps à faire la sieste.

C’est l’équipe à laquelle, j’ai l’honneur d’appartenir ! Ce sont ceux qui, étant affublés d’une bonne dose d’imagination, estiment que les vicissitudes de l’existence  vont se plier au moindre de leurs désirs, par la seule force de leur créativité mentale, en conséquence de quoi, ils n’ont pas à se ruiner leur santé physique en s’activant à un labeur épuisant, aux résultats incertains. Les rêveurs n’ont aucun souci à se faire : la matérialité des faits et des évènements ne les concerne que de très loin puisqu’il y a des gens comme Louis pour les prendre en charge.  A ce stade, nous sommes au bord de la leçon de vie : 

-         Arrête de prendre tes désirs pour des réalités ! 

C’est bien, Louis vient de se renouveler. En général, il est question de vessies et de bougies. Ou alors de lanternes, je ne me souviens plus. 

 -         … et des vessies pour des lanternes !   

Dans la vision sociale de Louis, la dichotomie précédente qui distingue les paysans et les ronfleurs se superpose assez bien avec ceux qui parlent et ceux qui agissent : 

-         Avec moi, le baratin, ça ne marche pas ! 

Au-delà d’un raisonnement simple, à une dimension, toute tentative de dissertation dépassant trois phrases est condamnable. C’est un véritable péché, un attentat contre le bon sens populaire, une violence intellectuelle tendant à instaurer la supériorité illégitime d’une élite arrogante et surtout inconsciente de la réalité des problèmes que Louis et tous ceux qui ont les pieds sur terre, affrontent avec lucidité et rectitude dans un combat quotidien, obscur et courageux. Pour Louis, les dormeurs sont des espèces de derviches tourneurs, légèrement pleutres et lâches, même si on ne leur dira pas parce qu’il faut bien coexister avec l’autre moitié de la société. 

-         Arrête de tourner autour du pot ! 

Ah ! Je me disais aussi ! J’appartiens à la sous-population la plus désespérante de la mauvaise catégorie : les dormeurs tourneurs. J’aime bien les saines colères de Louis. En général, elles se terminent très bien, sur un ton plus amène. Louis ne pense pas qu’il ait une chance de me faire entrer dans la confrérie des « paysans », mais – pour un instant au moins- il va me permettre de goûter à la quiétude de ces hommes peut-être un peu primaires, mais qui ont une conception de leur vie, claire, simple et dénuée de considérations verbeuses. 

-         Soyons clair ! 

Qu’est-ce que je disais ! Autrement dit, toutes les remarques précédentes, pourtant empreintes de réalisme étaient de nature à jeter l’obscurité sur le fond du problème. 

 -         Parlons vrai ! 

Avant nous parlions donc  faux, il va falloir que je réécrive ma dissertation sur les colères de Louis si il continue comme ça ! Louis a pris la seule décision rationnelle qui s’imposait à son esprit pragmatique : 

-         Tu tires ta première boule, et tu gardes la seconde pour pointer ! 

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