Au bureau, la rentrée est chargée

Jeudi 4 septembre. 

La nouvelle est tombée dans les bureaux vers 10 heures, un peu après la pause café, confirmée par plusieurs témoins auditifs et dignes de foi : Mademoiselle Dubuisson aurait passé le week-end du quinze août chez ses beaux-parents dans la Drôme. Et ce n’est pas tout ! Le dimanche après-midi se serait achevé par un orage ! Sur ce dernier point, les avis divergent : Mademoiselle Dubuisson a-t-elle dit « un orage d’enfer » ou alors « un orage dantesque » ?  La majorité des rapporteurs opinent plutôt pour la première solution dans la mesure où très peu d’entre eux connaissent l’œuvre de Dante et encore moins l’adjectif qu’il a inspiré à  langue française. 

Vu son importance, l’information est largement commentée. Elle donne lieu à des rapprochements historiques du plus vif intérêt. Monsieur Maurice, du service compta, retrace avec verve les conditions climatiques épouvantables qu’il connut lorsque, jeune étudiant, il lui prit l’envie de camper dans les gorges du Verdon en 54. Monsieur Maurice raconte bien, on s’esclaffe lourdement autour de la photocopieuse. 

Madame Dubertrand arrive sur ses entrefaites. Nul ne doit l’ignorer, ces petites avanies ne doivent pas faire oublier la tempête gigantesque qu’elle a essuyé l’an dernier, au large des côtes bretonnes, sur le voilier de son beau-frère. Il s’en est fallu de pu pour qu’elle y reste !  Les flots envahissaient jusqu’à ses bottes !  Pour un peu, le secrétariat du service juridique était vacant !

 Vendredi 5 septembre.

Monsieur Perez  essoufflé, surgit au standard où s’agglutinent déjà les principaux relais d’information dans les  services. Après une nouvelle entrevue avec Mademoiselle Dubuisson, il est en mesure de révéler un renseignement capital qui avait échappé à la plupart de ses collègues, chargés du premier rapport sur les vacances de Mademoiselle Dubuisson.  Il semble que, juste avant l’orage du quinze aout, ce soit son beau-frère qui ait triomphé dans le concours de pétanque familiale organisé à l’occasion des vingt ans de la nièce de Mademoiselle Dubuisson. Alors ça ! Madame Dubertrand n’en crois pas un mot. Elle connait suffisamment Gisèle Dubuisson pour savoir que son beau-frère est occupé à chasser les loups dans la forêt canadienne. Elle ne voit pas bien comment il pourrait, en même temps, taquiner le cochonnet dans les faubourgs de Saint-Vallier ! Cette incompatibilité géographique jette un doute dans l’assistance.  Nestor Boulingrin, du service courrier, intervient en mettant en avant une hypothèse à laquelle personne n’avait pensé :   

-          Et si Mademoiselle Dubuisson avait deux beaux-frères ? 

L’interrogation est lourde d’inquiétude. On se regarde, on se concerte. Il faudrait tout de même faire la lumière sur ce point. Il est décidé qu’une délégation irait voir Mademoiselle Dubuisson pour tirer l’affaire au clair.

Lundi  6 septembre 

L’ambiance est lourde. Vers dix heures, la cafétéria est pleine à craquer. On vient d’apprendre que Mademoiselle Dubuisson est retournée dans la Drôme, ce week-end. Et comme si ses exploits du quinze août ne suffisaient pas voilà qu’elle vient d’informer que sa belle-sœur a entrepris, samedi après-midi,  de repeindre son portail qui soit dit en passant, en avait bien besoin.  Tout allait donc pour le mieux quand un nouvel orage s’abat sur l’ouvrage de la belle-sœur de Mademoiselle Dubuisson de manière complètement inopinée. Quelle affaire ! Monsieur Maurice en profite pour rappeler que l’année qui l’avait vu planter sa tente dans les gorges du Verdon, il avait eu droit à trois orages successifs dans la même semaine ! On comprendra aisément que Monsieur Maurice évite désormais ce coin de France maudit des météorologues ! Gobelets de café en mains, chacun opine gravement du bonnet. Les préoccupations de Monsieur Maurice sont partagées. 

Mardi 7 septembre. 

 Enfin, Mademoiselle Dubuisson fait son entrée dans la salle de repos. Une ovation s’élève pour la saluer. On allait enfin savoir le fin mot de l’histoire. Mademoiselle Dubuisson précise que le vainqueur du tournoi familial de pétanque du 15 août était son frère et non son beau-frère comme l’indique la rumeur qui court depuis quelques temps. Il a battu en finale sa tante après une lutte acharnée. On aura mal compris.  Par contre, elle peut confirmer que son beau-frère est bel et bien en train de courir après le grizzly dans les forêts du Canada. Sur l’affaire du samedi précédent, Mademoiselle Dubuisson fait également la clarté. Sa belle-sœur avait effectivement  « l’intention » de repeindre son portail, mais l’orage est intervenu juste avant qu’elle se mette à l’œuvre. L’assistance est soulagée. Madame Dubertrand fait remarquer qu’il est tout de même beaucoup plus sûr de s’appuyer sur les témoins directs d’un évènement plutôt que de se fier aux on-dit. 

Mercredi 8 septembre. 

Autour des tables de la cafétéria, c’est le calme plat. Personne n’a rien à raconter. Mademoiselle Dubuisson n’est pas retournée dans sa famille. Monsieur Maurice a épuisé ses souvenirs d’adolescence. On a envoyé Monsieur Pérez se renseigner auprès des standardistes. Mais la pêche est maigre. Tout juste, apprend-on que Simone, la secrétaire de direction vient de prendre un rendez-vous téléphonique chez son coiffeur ce qui permet à Madame Dubertrand d’indiquer qu’elle en avait bien besoin. La pause café ne dure qu’une demi-heure au lieu des dix minutes réglementaires. On s’ennuie. Nestor Boulingrin se lève et prend la seule décision qui s’impose : 

-          Bon puisque c’est comme ça, je vais chercher Maria !   

-          Ah ! ah ! ah ! 

Avec Maria, on est sûr qu’on pourra causer. Et surtout dire des méchancetés sur les uns et sur les autres. Avec son bec d’aigle et ses yeux de fouine, elle sait repérer les idylles naissantes entre collègues de service qu’elle s’emploie à faire capoter le plus vite possible en se débrouillant pour rejeter  la faute sur un autre. Mais Nestor Boulingrin revient cinq minutes plus tard, la mine effarée. C’est la cata ! Il vient de surprendre Maria dans les bras de Dumortier , le directeur adjoint. Le principal vecteur d’information sur les affaires sentimentales dans l’immeuble est grillé ! On se retourne vers Madame Dubertrand, l’expérience, la sagesse, le recours de tous en cas de pépin. Xavière Dubertrand aime qu’on lui reconnaisse ce rôle de conscience collective et prend son temps pour répondre :  -          Il va falloir remplacer Maria !  

Puis en se frottant les mains : 

-          En attendant, organisons –nous ! On a du boulot ! Il faut tout savoir sur son affaire avec Dumortier ! 

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