Vol d’un objet helvétique
10 août, 2010Julien Lemasson n’avait pas choisi l’enseignement. Il n’avait d’ailleurs pas choisi grand-chose dans sa vie, se laissant porter par les vagues successives de ses rencontres hasardeuses.
La grande roulette de l’existence avait décidé pour lui qu’il serait prof de maths. Son destin aurait pu être celui d’un dresseur de castors ou danseur de flamenco, on avait l’impression que l’homme eut été le même. Il allait être prof de maths et pour pimenter le tout, prof de maths dans le collège d’une banlieue réputée pour être propice aux incendies spontanés des voitures de ses habitants malchanceux.
Lorsqu’il fut affecté au Lycée Jules Vallès dans la couronne parisienne, sa seule précaution fut d’acheter un vélo. D’occasion. En tant que dernier venu, il allait hériter de la cinquième B. Avec un haut sens de la confraternité, les profs s’étaient entendus pour parquer les élèves les plus agités dans cette classe et la confier au nouvel arrivant, comme il se doit, c’est-à-dire à l’enseignant le moins expérimenté.
Le premier jour, Julien Lemasson fut reçu par Marcel Dulac, l’énergique principal de l’établissement. Marcel Dulac était un petit homme aux épaules voûtées, à la barbiche en pointe, sans cesse agité de tics et de tremblements. Son collège était célèbre d’une part pour l’excellent apprentissage du combat à mains nues qu’il procurait à ses élèves et d’autre part pour l’absence totale de chance pour la plupart d’entre eux de décrocher le brevet, encore moins une place en lycée général. La difficulté de son poste, doublé d’un léger retard dans son avancement professionnel, avait creusé sur le visage émacié de Monsieur Dulac les rides de l’amertume et les stigmates de l’aigreur.