Louis était inexistant. Certes, il était doté d’une enveloppe corporelle, d’une apparence physique et d’une carte d’identité, mais tout se passait comme si ces réalités étaient invisibles aux yeux d’autrui.
Son corps aurait pu lui permettre d’entretenir encore quelques illusions sur sa capacité à figurer en société, mais l’aspect de sa physionomie lui ôtait toute possibilité d’y briller ou simplement d’attirer l’attention.
Sa silhouette voutée témoignait d’une tendance scoliotique sur laquelle le corps médical ne s’était jamais penché. Les parents de Louis considéraient qu’il était bien suffisant pour chaque être humain de bénéficier d’une anatomie disposant des fonctions biologiques essentielles. Nul n’était besoin de dépenser de l’argent pour la rendre attirante compte tenu du fait que la vie et la mort se chargeaient, de toute façon, de la détruire à petits feux. Louis promenait donc une silhouette courbée assez disgracieuse.
D’une taille légèrement au-dessus de la moyenne, il ne dominait pourtant rien de son regard binoclard. Même quand, il se présentait devant un homme de taille inférieure, on avait l’impression que c’était Louis le plus petit. Il avait une manière immatérielle de se tasser sur lui-même lorsqu’il croisait ses congénères de façon, sans doute, à ne pas risquer de les contrarier.
Ses grands bras maigrichons battaient l’air comme pour surnager dans le marécage de son mal-être ou alors pour donner l’impression qu’ils étaient occupés à quelque chose. Ses mains et ses doigts se tordaient souvent les uns dans les autres d’une manière empruntée et malhabile.
Chaque fois qu’il arrivait quelque part, ses yeux s’agitaient, clignotaient, tourneboulaient comme s’ils voulaient jaillir de ce corps pour le laisser se débrouiller avec ses interlocuteurs du moment. Son visage n’inspirait rien. Ni sentiment amical, ni compassion, ni rejet horrifié. Il était de ceux dont on ne se souvenait jamais ou alors qu’on confondait avec celui d’un autre, tout aussi insignifiant. Même sa paire de lunettes ne retenait pas l’attention : elles étaient d’un modèle impersonnel et sans fantaisie qui figurait sur des milliers de nez comme le sien. Il était d’ailleurs particulièrement difficile de décrire le nez de Louis puisque d’une part peu de personnes sur terre ont la chance de posséder un appendice nasal très typé et que d’autre part, et en conséquence, celui de Louis était le nez de tout le monde.
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