Archive pour août, 2010

Une conversation de père à fils

31 août, 2010

 Jean vient de rejoindre son père à la table du petit déjeuner en trainant les pieds et en se grattant fortement le torse vêtu d’un tee-shirt à la gloire d’une université américaine. 

Marc se fait du souci pour son fils. Depuis, le départ de sa mère, il a fait comme il a pu. Mais, il ne sait pas grand-chose de ce que Jean fait de ses journées lorsque le lycée est fini. Sauf que Jean se fait appeler Johnny par ses copains pour faire américain. 

Sa trogne maussade et sa chevelure hirsute dépasse à peine des pots de confiture et du sac de  biscottes. Dans un lointain souvenir, Marc se souvient encore du visage de bébé qu’il avait devant lui, à la même place. Il y a si longtemps. 

« Tu veux du café ? » 

« C’est clair… » 

Marc a envie d’une conversation avec son gamin. Il fait mine de s’interroger. Pourquoi les jeunes d’aujourd’hui répètent-ils à tout bout de champ que les choses sont claires surtout quand elles ne le sont pas ? 

Jean allonge sa lippe inférieure en émettant un bruit singulier. Quelle question ! C’est bien une question d’ancien ! Et puis s’il faut maintenant se demander pourquoi on dit ceci ou cela, la vie va devenir d’un compliqué !

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Il ne faut pas énerver Berthe sinon la moutarde lui monte au nez

30 août, 2010

Maurice aimait humer les odeurs qui s’échappaient de la cuisine de Berthe.

Le jambon surtout, exhalait un fumet délicieux.

Ceux qui ne goûtaient pas sa gastronomie n’étaient pas en odeur de sainteté sous son toit.

Maurice avait eu vent de l’ouverture d’un excellent restaurant près de chez eux.

Pour Berthe, cette nouvelle dégageait un parfum de scandale.

C’était sûrement l’émanation d’un complot ourdi par des jaloux de son talent culinaire.

Berthe était furieuse : des bouffées de colère la remuaient fortement!

Pour elle, les futurs clients de cet estaminet sentaient déjà le sapin !

 

Une petite prière pour tous les gêneurs

29 août, 2010

Pour tous ceux qui s’installent à vos cotés, dans l’ascenseur en sentant mauvais. 

Pour tous ceux qui trouvent toujours quelque chose à dire dans les ascenseurs. 

Pour tous ceux qui garent leurs voitures en serrant votre pare-choc au plus près, tout en faisant l’hypothèse que vous aurez tout l’espace nécessaire pour dégager votre automobile sans rayer leur carrosserie ! 

Pour tous ceux qui vous interrompent en estimant que, par rapport à leur propre discours, ce que vous essayez de dire ne présente aucune espèce d’intérêt ! 

Pour tous ceux qui vous demandent si vous avez écouté le disque d’un groupe anglais ou alors finlandais, portant un nom très compliqué, pour bien vous faire sentir que vous ne vous tenez absolument pas au courant de l’actualité musicale. 

Pour tous ceux qui vous interrogent sur la destination de vos vacances et qui font semblant de s’intéresser à vos quinze jours de congés à Palavas-les-Flots pour que vous sentiez combien vos ambitions estivales sont médiocres à coté de leur séjour au Pôle Nord ou au sommet des Andes, dans une tribu indienne aux mœurs ancestrales.

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Sens obligatoires

28 août, 2010

Ces temps-ci, Julius a à faire à l’Administration.

Devant le Tribunal, il est convoqué pour une simple audition de témoin d’un accident.

Le juge tenait à avoir son point de vue.

En sortant, il se rend à la perception des impôts

Qui a eu le mauvais goût de lui rappeler l’obligation de payer son tiers provisionnel.

Heureusement, Julius vient de toucher le tiercé.

Il pourra également régaler son chat dont l’odorat se lasse de pâtes  au beurre.

Dehors, un orchestre de samba brésilienne se déchaine : les artistes ont le rythme dans la peau.

Julius peut enfin s’abandonner aux douces sensations de la musique.

 

Aux abris!

27 août, 2010

Depuis qu’il était adulte, il avait peur de tout.

Il ne pouvait plus se cacher sous les jupes de sa mère.

Pour compléter sa protection sociale, il s’était assuré contre le rhume des foins.

Chaque matin, il montait sur le toit de sa maison pour s’assurer de sa couverture.

A ses frais, il avait construit un abri antiatomique dans son jardin.

Des barbelés hérissaient la clôture de sa propriété pour en défendre l’entrée.

Il  avait enterré son trésor dans une cachette connue de lui seul.

L’été, il sortait en pull-over pour se protéger des ardeurs du soleil.

Et chaque soir, il se refugiait dans un arbre pour contempler la lune.

La pétition

26 août, 2010

Louis était inexistant. Certes, il était doté d’une enveloppe corporelle, d’une apparence physique et d’une carte d’identité, mais tout se passait comme si ces réalités étaient invisibles aux yeux d’autrui. 

Son corps aurait pu lui permettre d’entretenir encore quelques illusions sur sa capacité à figurer en société, mais l’aspect de sa physionomie lui ôtait toute possibilité d’y briller ou simplement d’attirer l’attention. 

Sa silhouette voutée témoignait d’une tendance scoliotique sur laquelle le corps médical ne s’était jamais penché. Les parents de Louis considéraient qu’il était bien suffisant pour chaque être humain de bénéficier d’une anatomie disposant des fonctions biologiques essentielles. Nul n’était besoin de dépenser de l’argent pour la rendre attirante compte tenu du fait que la vie et la mort se chargeaient, de toute façon, de la détruire à petits feux. Louis promenait donc une silhouette courbée assez disgracieuse. 

D’une taille légèrement au-dessus de la moyenne, il ne dominait pourtant rien de son regard binoclard. Même quand, il se présentait devant un homme de taille inférieure, on avait l’impression que c’était Louis le plus petit. Il avait une manière immatérielle de se tasser sur lui-même lorsqu’il croisait ses congénères de façon, sans doute, à ne pas risquer de les contrarier. 

Ses grands bras maigrichons battaient l’air comme pour surnager dans le marécage de son mal-être ou alors pour donner l’impression qu’ils étaient occupés à quelque chose. Ses mains et ses doigts se tordaient souvent les uns dans les autres d’une manière empruntée et malhabile. 

Chaque fois qu’il arrivait quelque part, ses yeux s’agitaient, clignotaient, tourneboulaient comme s’ils voulaient jaillir de ce corps pour le laisser se débrouiller avec ses interlocuteurs du moment. Son visage n’inspirait rien. Ni sentiment amical, ni compassion, ni rejet horrifié. Il était de ceux dont on ne se souvenait jamais ou alors qu’on confondait avec celui d’un autre, tout aussi insignifiant. Même sa paire de lunettes ne retenait pas l’attention : elles étaient d’un modèle impersonnel et sans fantaisie qui figurait sur des milliers de nez  comme le sien. Il était d’ailleurs particulièrement difficile de décrire le nez de Louis puisque d’une part peu de personnes sur terre ont la chance de posséder un appendice nasal très typé et que d’autre part, et en conséquence, celui de Louis était le nez de tout le monde.

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Décroissances

25 août, 2010

Aujourd’hui, il fait froid.  Le mercure a chuté.

Antonin parcourt le journal après avoir bu un comprimé d’aspirine pour se soigner.

Grâce à l’abaissement de l’âge de départ à la retraite, il reste désormais  chez lui.

Il est arrivé au sommet de sa carrière en bénéficiant de quelques réductions d’ancienneté.

Antonin parle souvent politique avec Justin qui est partisan d’un allégement de la fiscalité,

Alors que lui prône plutôt des restrictions budgétaires.

Mais hier, Antonin a du abréger la conversation car il sentait qu’il contractait une maladie.

Heureusement, ce matin, sa température a baissé.

Justin vient prendre de ses nouvelles et parler avec lui : le bruit de la démission du gouvernement décroit.

Mais le rôle des ministres se restreint.

Celui du Parlement rétrécit.

Quelle époque rabougrie !

Les saines colères de Louis

24 août, 2010

       -         Il faut être réaliste ! 

Aïe ! Quand Louis démarre comme ça, c’est qu’il est en colère. Et quand Louis est en colère, je suis prié de descendre du ciel en quatrième vitesse, par l’ascenseur si possible. 

 -         Redescend de tes nuages ! 

Tiens, aujourd’hui le ciel est chargé de nuages, Louis doit être réellement très contrarié. Je vais avoir droit à des citations historiques, peut-être un peu gaulliennes. Du genre : « Les choses sont comme elles sont ! ». 

-         Il faut voir les choses comme elles sont et non comme elles devraient être ! 

Louis connait aussi Racine et Corneille. On peut être d’un caractère bouillant, mais avoir fait « Lettres classiques ». Il ne m’a pas encore parlé de son auriculaire : 

 -         Tu fais ce que tu veux, mais moi, je ne me cache pas derrière mon petit doigt ! 

Ah ! bon ! Je respire. Pour Louis, il ya deux clans dans le monde : 

-         Je suis désolé, mais moi, j’ai les pieds dans la glaise !

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En route!

23 août, 2010

Louis avait suivi une trajectoire scolaire chaotique.

Son passage à l’université avait été un chemin de croix.

Son insertion dans la vie active, un vrai parcours du combattant.

Mais aujourd’hui, contre toute attente, il est mathématicien, spécialiste de la progression arithmétique.

Le cheminement de ses raisonnements est impressionnant.

Lorsqu’il travaille, les orbites de ses yeux se dilatent étrangement.

Quand  il est sur la piste de la solution,

Les circuits de ses neurones s’agitent,

Puis,  il entre sur la voie royale du succès.

Il faut coucher Jérémy

22 août, 2010

La population qui se presse dans le hall de la gare de Lyon se divise en quatre catégories. La première est constituée des « têtes en l’air » qui passent leur temps à lever les yeux au ciel. On dirait qu’ils essaient de convaincre d’une prière muette le tableau des départs de train de l’urgence qu’il y  à prendre en considération le trajet qu’ils ont programmés. 

 Aux cotés de ce public d’usagers, se tient une classe sociale aux préoccupations moins élevées : « les affamés ». La principale occupation des « affamés » est de se presser devant les multiples échoppes qui vendent les mêmes sandwichs dégoulinants aux mêmes prix exorbitants avec la même impatience de vendeurs à l’air exaspéré et pressés d’en finir avec une journée qu’il recommenceront à l’identique le lendemain et pour de nombreuses années encore, compte tenu de l’état du marché du travail. 

Dans le bas de la hiérarchie sociale, on voit apparaitre derrière les « affamés », une catégorie humaine particulière : « les maudits ». Les maudits n’ont qu’une envie : accéder à la classe des « affamés ». C’est la raison pour laquelle ils se positionnent juste derrière ces derniers en tendant la main en vue d’une obole qui leur permettrait à leur tour d’accéder au rang « d’affamés ». 

-          T’as couché Jérémy ?

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