Archive pour juillet, 2010

Par procuration

11 juillet, 2010

Jean et Julie divorcent. C’est décidé. Le temps a fait son œuvre. Lui, toujours en déplacements professionnels, n’est jamais là. Quand il est physiquement présent, il est mentalement préoccupé par ses affaires ou alors fatigué. Elle, c’est une femme de tête qui a réussi dans son job et qui tient à ce que ça se sache. Elle est inapte aux tâches du foyer qu’elle considère comme parfaitement aliénantes et comme une survivance douloureuse d’un long passé consacré par les hommes à exploiter honteusement la soumission et la patience féminine. L’heure de la revanche ayant sonné, Julie n’a pas la moindre intention de toucher aux instruments de cuisine et de ménage. Au nom de plusieurs siècles de lutte pour la cause féminine, elle considère que le temps est venu que les hommes et en particulier le sien prennent à leur tour le manche du balai pour plusieurs dizaines d’années. Au moins. Jean n’est pas vraiment de cet avis. 

Au jour dit, ils sont assis dans l’antichambre du juge dans l’attente de l’audience de conciliation, en priant chacun de leur coté pour que cette formalité fastidieuse ne débouche surtout pas sur un accommodement qui les conduirait à de nouveau tenter de vivre ensemble. Ils n’ont pas vraiment de graves reproches à s’adresser. La petitesse de leur vie commune les exaspère. Les sentiments ne sont plus là, on coexiste en se sentant oppressé par la seule présence de l’autre sans vraiment savoir pourquoi. On n’en peut plus de cette traversée du désert affectif. 

Les deux anciens amants ont pris place aux deux extrémités de la même banquette. Elle, elle retouche fréquemment son opulente chevelure rousse qui le faisait fantasmer il y a si longtemps, tandis que ses yeux verts, aujourd’hui cernés de quelques rides traitresses infligées par une quarantaine cruelle, balaient la salle d’attente avec impatience. Jean a croisé les bras en appuyant la tête contre le mur. Il prend l’air ennuyé. Il passe parfois sa main velue sur son visage buriné comme pour chasser des souvenirs importuns, puis il porte sa montre à son regard dans geste découragé et las. 

Maitre Duminet et Maitre Rutilant se tiennent debout, revêtus de l’ample robe noire caractéristique de leur profession. Ils portent chacun un fin dossier sous le bras.

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Oléagineux

10 juillet, 2010

Jérome était la crème des types.

Il était inutile de lui graisser la patte.

Dans son métier, c’était une huile.

Il ne faisait jamais la grasse matinée.

Il savait qu’on ne pouvait pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Souvent, il partait en Grèce,

Dans sa voiture, dont il faisait correctement lubrifier le moteur.

Jérôme était de l’essence des grands seigneurs.

Récipient d’air

9 juillet, 2010

Marcel se conduisait comme un jouisseur avec les femmes : toujours la main au panier !

Un jour, sa femme Madeleine découvrit le pot aux roses !

Madeleine avait plus d’un tour dans son sac.

Elle avait de la peine à faire bouillir la marmite.

Mais elle invita Janine, la dernière conquête de Marcel à la fortune du pot.

Entre trois casseroles et deux  marmites, les femmes sympathisèrent.

Janine comprit que,  pour Madeleine, la coupe était pleine !

Elle lui offrit une valise de billets

Et mit un terme à cette histoire vaseuse !

Un sauvetage courageux

8 juillet, 2010

Les passants qui croisent Martin Patouillard en cet après-midi d’avril sur les grands boulevards, pensent qu’il est un homme heureux. Du moins, c’est ce qu’ils imagineraient s’ils se donnaient la peine de prêter attention aux silhouettes qu’ils  côtoient au lieu de poursuivre leur chemin, indifférents au monde qui les entoure. 

Martin Patouillard a décidé de profiter avec allégresse d’une liberté indue qu’il s’est octroyée frauduleusement. Les deux mains plongées dans son blouson de cuir, il déambule la démarche légère, le nez au vent, la crinière blonde en bataille et l’œil guilleret aux aguets, prêt à profiter de tous les spectacles insolites de la rue. Contrairement à ses congénères, Martin dévisage gaiement tous ceux qu’il croise. 

Il trouve que les petites étudiantes sont charmantes dans l’air doux de ces premiers élans de la belle saison. Elles se ressemblent un peu toutes, mais elles sont charmantes néanmoins. Aujourd’hui, Martin a l’impression qu’il aurait du mal à trouver une jeune fille franchement vilaine. Il a presqu’envie de les aborder. Juste pour savoir le secret qui les rend si attirantes. Les démarches sont souples, les silhouettes se tordent de rire en se pressant les unes contre les aautres. Les classeurs et les dossiers, serrés contre elles, soulignent les poitrines naissantes.  Les cheveux soyeux dessinent d’une belle arabesque des fronts d’enfants. Les joues rosies sont lisses et fraîches. Parfois un fin bijou orne un nez mutin ou une oreille joliment dessinée. 

De temps à autre, des groupes de jeunes débordent un couple de retraités clopinant. Lui appuie son dos vouté sur une canne orné d’un pommeau d’argent. Il soulève galamment son chapeau en croisant une connaissance, comme dans le temps. Elle, toute menue, a soigné la mise en pli de ses cheveux blancs et lui donne le bras en progressant à petits pas.

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La valse des métiers

7 juillet, 2010

Le Commissaire cuisinait le cuisinier.

Ce dernier mentait comme un arracheur de dents.

Le policier était sûr qu’il avait tué sa maîtresse.

L’homme avoua : elle lui jouait la comédie.

Elle ne mangeait que des avocats.

Elle tenait des comptes d’apothicaire  et lui reprochait ses dépenses.

Elle fréquentait un cordonnier mal chaussé

Et un apprenti forgeron qui passait son temps à forger.

Le cuisinier connaissait pourtant les femmes : il était orfèvre en la matière.

Mais il finit par découper celle-ci en morceaux, il la charcuta.

Confession

6 juillet, 2010

Je suis un fou meurtrier. La liste de mes victimes est impressionnante, Monsieur le Commissaire !

Il y a trois ans j’ai exécuté Bernadette. Douze ans de vie commune. Et puis, vous savez ce que c’est : ça commence par les petites agressions sournoises de la vie quotidienne ! La caisse du chat qu’elle fait exprès de ne pas vider en prétextant que c’est votre tour ! L’abat-jour du salon que vous avez changé sans entamer un processus de concertation approfondi avec elle, marquant par là le dédain dans lequel vous tenez son opinion sur la décoration de votre intérieur ! Votre air fatigué lorsque vous rentrez alors que vous vous êtes coltiner l’aigreur du président Martinaud toute la journée ! Et puis, la rancœur qui s’installe progressivement, les mots qui commencent à voler, les tortures psychologiques qui prennent de l’ampleur.

Je suis désolé mais j’ai fini par la refroidir par mon attitude hautaine et mon sourire condescendant. Elle est partie un matin. Comme ça ! Pff ! En douceur ! Sans souffrir !

Un joli meurtre conjugal ! Le Commissaire Barnabé n’a pourtant pas l’air intéressé ! Il est en train de feuilleter son dossier en relevant ses lunettes sur son front. Il est petit pour un commissaire. C’est un vrai scandale : ils m’ont mis un commissaire nain et binoclard ! Ils ne savent pas qui je suis ! Ils vont apprendre à me connaître ! Poursuivons ! 

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Badaboum!

5 juillet, 2010

Il faut qu’une histoire se termine par une chute.

Sinon la construction littéraire s’effondre.

Le texte fait un flop.

L’œuvre est descendue en flammes.

L’auteur se casse la figure.

Le lecteur s’écroule de rire.

C’est comme ça qu’un écrivain se ruine !

Et que la mine abattue, le visage défait,

Il  marche en rasant les murs,

En s’écrasant,

Jusqu’à sa tombe.

Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? (17)

4 juillet, 2010

Quand je serai adulte, je voudrais être ancien combattant de mai 68. L’époque me plait bien lorsqu’elle est racontée par les anciens.

C’était le bazar, le vrai. Aucune autorité n’était reconnue. Aujourd’hui, on ne peut plus insulter un prof sans passer trois mois en prison. Lorsqu’on s’en prend à un policier, ils réagissent  tout de suite avec une extrême brutalité et sortent leurs pistolets paralysant à l’électricité. Il semble même que les adolescents ne peuvent plus être impolis envers leurs parents sans que tout le monde ne se trouve immédiatement convoqués chez le psychiatre de la famille.

Nos anciens du mois de mai avaient su remettre en cause l’enseignement. Il n’y avait plus besoin d’apprendre les leçons. Bien entendu, les solutions étaient données en même temps que les sujets de devoir pour qu’on ne perde pas de temps à les chercher. Ils avait décidé que les notes ne servaient à rien, sauf à culpabiliser de pauvres enfants qui n’avaient pas eu le temps d’absorber des chapitres de maths ou d’histoire nettement plus ennuyeux que les matchs de foot disputés ardemment au pied de leurs immeubles lugubres ou les parties de flippers organisées dans leurs bistrots crasseux où l’on apprenait à fumer et à draguer. Les élèves avaient d’ailleurs su faire croire aux profs qu’ils se formaient en même temps qu’ils les formaient. C’est tout juste si l’enseigné ne demandait pas à l’enseignant de réciter ses leçons en début de cours.

Aucun uniforme n’était respecté. Le moindre galon était l’indice d’une répression policière insupportable et d’une tentative de rétablissement de l’ordre bourgeois décadent. La plus fugitive apparition, même très discrète, d’un groupe de CRS casqués, armés de matraques et de boucliers donnait lieu à un affrontement sans merci, à des cris vengeurs, à quelques barricades révolutionnaires et à un certain nombre d’arrestations parfaitement arbitraires, qui entraînaient dès le lendemain de nouvelles émeutes pour obtenir la libérations des camarades injustement emprisonnés.

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Le troupeau de Théodore

3 juillet, 2010

Théodore,  le fermier était furieux.

Il allait devenir chèvre.

Ses bergers se conduisaient comme des moutons de panurge.

Au lieu de garder le troupeau, ils jouaient à saute-mouton.

Ou bien ils passaient leur temps à répondre aux bergères.

Pendant que les brebis attrapaient des maladies : beaucoup d’entre elles étaient galeuses.

Théodore allait traverser une période de vache maigre.

Ou de vache enragée.

Il ne tuerait plus le veau gras.

Il fallait qu’il trouve un bouc émissaire pour passer sa colère !

 

Articles de menuiserie

2 juillet, 2010

Lucien menait une vie de bâton de chaise.

Le matin, il souffrait souvent de la gueule de bois.

Au bureau, il avait été mis au placard.

Sa santé allait en dents de scie.

Marcel lui reprocha it d’être complètement marteau.

Il  lui procura un logement : il serait enfin dans ses meubles.

Marcel dit à Lucien que c’était sa dernière planche de salut.

Il le pria de ne pas scier la branche sur laquelle il était assis.

Sinon, Lucien verrait de quel bois il se chauffe.

Marcel espérait que son ami se rangerait dans les clous : il toucha du bois.

 

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