Moi, dès ma majorité, je serai avare et, peut-être immigré au Sénégal. Je n’arrête pas de le dire autour de moi : il faut économiser car on va bientôt manquer de tout : argent, eau, pétrole, air pur, peut-être même de chewing-gums ou de jeux vidéos ! Les budgets de l’Etat, de
la Sécu, de la SNCF présentent des déficits chroniques. Chez moi, nous avons disposé des casseroles sur toute la surface du jardin pour récupérer l’eau de pluie. Les voisins se plaignent amèrement du manque d’esthétisme du paysage, mais nous sommes les seuls à pouvoir arroser nos fleurs en été devant leurs mines envieuses. Mon père ne met plus d’essence dans sa voiture, mais il a caché en réserve des jerricanes remplis de carburant au cas où il faille s’enfuir un jour devant l’avancée d’un envahisseur comme son grand père a du s’y résoudre en 40. L’air pur me pose un problème, personne ne peut se l’approprier. Pendant les dernières vacances d’été dans les Alpes, j’ai néanmoins tenté d’enfermer l’oxygène des sommets dans un bocal à confiture de ma mère. On ne sait jamais, ça peut servir en cas de pollution atmosphérique extrême.
Il ne faut pas hésiter à amasser de l’argent. Bientôt, l’industrie et les services ne créeront plus d’emplois. Les pompistes ont été remplacés par des robots. Prochainement, les caissières de supermarchés n’auront plus leurs places. La seule chose qui pourra travailler et nourrir les familles ce sera leurs comptes en banque. Ou plutôt, leurs comptes d’épargne. Ceux qui ne mettront rien de coté auront de moins en moins. Ceux qui économiseront gagneront de plus en plus.
C’est comme ça, c’est la loi de la vie en société. Il ne faut rien donner sinon on s’élève contre l’ordre naturel. Les foyers sont sollicités de toutes parts : les Restos du Cœur, la lutte contre le sida, le denier du culte… Mon père ne répond à aucune demande de fonds. L’Oncle Picsou a entièrement raison : si l’on commence à faire don d’une seule une pièce d’or, on ouvre la porte à tous les excès. Même lorsque le vol est légal, il faut céder le moins de terrain possible : nous, nous avons fait expertiser six fois notre déclaration de revenus. Economie réalisée : vingt euros par an. C’est toujours ça de pris !
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