Archive pour juin, 2010

Un sondeur pointu

20 juin, 2010

Ce matin là, John se lavait les dents. Assidûment, car le dentiste avait dit : assidûment. Surtout les gencives. John savait que ses dents étaient son tendon d’Achille. Lorsque le praticien lui avait asséné cette vérité en retirant son gant et ses masques d’un air professionnel, John avait été pris de panique et accessoirement d’une frénésie de brossage. Devant lui, s’alignait un rayon complet de bains de bouches multicolores dont il se gargarisait dans tous les sens de l’expression. C’est que l’idée de se trouver à quarante cinq ans, dans un petit matin blême ou pas importe, en train de nettoyer son dentier pendant que sa conquête d’une nuit s’étirait mollement entre ses draps, cette idée-là le terrorisait.

L’opération durait donc. Les minutes passées à astiquer sa mâchoire laissaient à John le temps de réfléchir au rendez-vous qu’il avait arraché de haute lutte à Isabelle, ce jour là. La belle lui plaisait : une brune sirupeuse, un nez mutin constellé de tâches de rousseur du meilleur effet, et un regard noir de jais à faire pâlir un fantôme. L’affaire fut ardue : l’objet de son attention n’était pas libre selon ses propres dires. John avait du déployer ses ressources d’hypocrisie les plus affûtées pour la convaincre de l’opportunité d’une rencontre. Justement, l’envie d’une visite approfondie au musée des Arts Modernes le tenaillait depuis longtemps déjà. Les commentaires avisés d’Isabelle, amatrice éclairée en ce domaine, seraient une aide particulièrement efficace pour lui rendre cette étude encore plus fructueuse.

Lorsque la sonnette de la porte d’entrée fit son office de manière stridente, John, courbé sur le lavabo fut pris d’un hoquet et rejeta d’un coup dans le lavabo, l’une de ces nouvelles solutions antiseptiques qui, selon les dires de la pharmacienne Juliette Cisowski confirmée par les messages publicitaires télévisuels, ne devait pas laisser la moindre chance d’intrusion buccale aux plus indisciplinés des microbes actuellement recensés sous nos latitudes.

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Sale coup!

19 juin, 2010

Pierre passait tous les matins chez Louis, pour boire un canon.

Vers dix heures, il y revenait ! Il disait qu’il fallait faire d’un Pierre deux coups.

A midi aussi d’ailleurs, il était toujours là. Pour se taper la cloche.

Durant le repas, il tirait à boulets rouges sur le gouvernement.

Il proclamait que sa vie était un vrai parcours du combattant.

Il était à couteaux tirés avec Ernest, son voisin de comptoir.

Qui faisait toujours des remarques frappées au coin du bon sens.

Sur le coup de seize heures, Pierre repassait.

 Il prétendait qu’il faut  toujours battre le fer quand  il est chaud.

Un soir, Pierre tira sa révérence.

Géométrie (niveau agrégation)

18 juin, 2010

Georges fait un numéro de trapèze au cirque.

C’est un athlète aux épaules carrées.

Avec des abdominaux en béton : il maîtrise parfaitement l’exercice de l’équerre.

Pour ne pas chuter, il garde le compas dans l’œil.

Dans la vie, il n’aime pas tourner en rond.

Tout doit être réglé au millimètre.

Il a aussi pour règle de sanctionner tous les délateurs.

Il corrige sévèrement les rapporteurs de ragots malfaisants.

Georges aime que l’on suive une ligne de conduite droite !

A l’assaut !

17 juin, 2010

-          Rendez-vous ! Vous êtes cernés !

Dans le village Marie-Cécile est connue pour son franc-parler. Aujourd’hui sa patience vient à bout. Elle a chaussé les bottes de son père, celles qu’elle utilise pour aller nourrir son troupeau d’oies. Elle a mis son fichu des mauvais jours, celui qu’elle noue autour de son cou lorsqu’il fait froid. Et puis, elle a décroché le fusil de chasse de son grand oncle, l’instrument dont il se servait vers la fin des années 1800 pour impressionner les braconniers.

Monsieur le Curé ne va sans doute pas apprécier son coup d’éclat, mais cette fois-ci, Maurice a dépassé les limites. Ses « exploits » sont la risée du village : il faut en finir.

Marie-Cécile a longuement préparé son affaire. Elle s’est organisée avec Charlotte, Louisette, et Maria. Les quatre femmes sont déterminées. Chacune a juré d’aller au bout de l’action, la main tendue sur le pot à lait de Marie-Cécile.

-          Rendez-vous ! Sortez les mains en l’air !

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Jeux de mains

16 juin, 2010

Jean avait passé une bague à l’annulaire de Marie.

Il en était très jaloux : parfois pour essayer de se maitriser, il serrait fort les poings.

Mais souvent, il frappait d’une manchette quiconque s’approchait de Marie.

Puis, il pointait un doigt accusateur vers sa femme pour lui commander de ne pas aguicher les hommes.

Il  lui disait de se méfier car son petit doigt lui raconterait ses écarts.

Il mettrait à l’index tous ceux qui lui manqueraient de respect.

Puis il posait les mains sur les hanches de Marie.

Décidemment Jean ne voulait pas paumer Marie !

Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand? (15)

15 juin, 2010

Moi, je serai Arsène Lupin ou le Commissaire. Ou alors les deux. Pour un enfant des cités, ce sera une réussite sociale exemplaire. On pourrait s’attendre à ce que je devienne un bandit des grands chemins ou bien, qu’avec mon type basané, mon nom d’outre-mer et mon adresse de banlieue, je finisse dans un gangstérisme urbain de petite envergure, dans des trafics minables ou des vols pitoyables du tiroir caisse de boutiques sordides. Eh bien non ! Quitte à me mettre hors-la-loi, autant élever le niveau !

Je ne m’attaquerai qu’aux riches, avec élégance, distinction et subtilité. Sur le plan des incendies de voitures, je n’allumerai rien en dessous d’un niveau de standing correspondant à la Golf GTI. Ensuite, le lendemain de mon méfait, je prendrai garde à envoyer des fleurs au propriétaire si c’est une femme ou alors une photo souvenir du véhicule parti en fumée, si c’est un homme. J’y adjoindrai même la carte d’un excellent assureur de mes amis qui me reversera une part du bénéfice gagné, bien entendu. On peut exprimer sa colère contre l’injustice sociale, mais il n’est pas interdit de se défouler avec classe !

Sur le plan des conduites addictives, il faut absolument préserver la santé des adolescents de nos cités. D’ailleurs, si on les appelle « quartiers sensibles », c’est bien parce qu’il ne faut pas trop bousculer leurs habitants. J’orienterai évidemment mes commerces de produits illicites à la seule destination de la jeunesse dorée du centre ville. Toujours avec délicatesse évidemment. Lorsque les jeunes gens de la haute société ne pourront plus se passer de me produits, j’enverrai eux parents une liste des centres de désintoxication les plus proches, c’est tout de même la moindre des choses ! Et puis, à leur sortie, ils pourront de nouveau faire partie de ma clientèle habituelle.

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La mouche a des ses soucis

14 juin, 2010

La mouche cherche de l’aide pour faire avancer le coche.

Décidemment, c’est toujours  sur elle que l’on compte pour les sales besognes.

La guêpe lui répond qu’elle n’est pas folle.

La grenouille est trop occupée dans le bénitier de l’Eglise.

Le crapaud bave d’envie rejoindre la grenouille dans le bénitier.

La poule rétorque qu’elle s’occupera du coche quand elle aura fini de faire ses dents.

Le paon se pare de ses plus belles plumes en faisant semblant de ne pas avoir entendu la question de la mouche.

Le vers de terre prétend que la mouche est complètement piquée.

Très  fâchée, la mouche la prend.

Elle n’est pas fine la mouche !

Moi-même

13 juin, 2010

Cette fois, c’est sûr,  je me divorce.

Au début,  je me trouvais drôle, séduisant, plein d’entrain. Je faisais des projets.

Je partirai avec moi-même en plein cœur de l’Afrique pour aider à l’alphabétisation des enfants dans des contrées reculées. 

A mon retour, j’organiserai avec mon aide des spectacles-concerts pour  lutter contre la misère.

En un mot, j’allais vivre ensemble !

 Et puis, on sait ce que c’est : le temps passe, les habitudes du quotidien s’insinuent  progressivement.

Et la quarantaine me surprend tous les deux, assis dans le même fauteuil, les deux pieds dans les mêmes pantoufles.

Je me dispute pour choisir les programmes de télé.

Aujourd’hui, il a fallu que je me fasse violence pour m’obliger à faire la vaisselle qui s’entassait dans l’évier et descendre la poubelle.

L’été prochain, j’irai m’ennuyer réciproquement chez ma mère. 

Bref, je me marche sur les pieds : je ne me  supporte plus.

Je vais me quitter moi-même. Pourquoi ne me réponds-tu pas ?

  -          Eh ! Oh ! Y’a quelqu’un ? 

Les jeux ne sont pas faits

12 juin, 2010

Elles étaient une bande de copines à élever des petits chevaux en pleine campagne.

Ces dames s’appelaient Patricia, Cunégonde, Marie-Cécile, Alexandra.

Elles n’étaient pas du genre à manier le dé à coudre.

Elles n’hésitaient pas à faire 1000 bornes pour se rendre à l’hippodrome.

Elles aimaient la bataille des jockeys,  les jours de grandes courses.

Un jour, leur cavalier favori passa sur le billard.

Leurs chevaux connurent de graves échecs.

Alors, elles tentèrent un coup de poker .

Et tirèrent à la courte paille celle qui le remplacerait.

Nouvelle leçon de géométrie

11 juin, 2010

Max parcourait le monde à bord de sa voiture de sport, moteur à 8 cylindres.

Il venait de visiter ainsi les pyramides d’Egypte.

Dans la sphère de ses proches,

On savait qu’il n’aimait pas tourner en rond chez lui.

C’était un homme droit,

Qui faisait son lit au carré,

Et qui ne supportait pas les gens au regard oblique.

Parfois, il souffrait des sinus.

Pour se soigner, il jetait un cube de soupe aux légumes dans l’eau frémissante.

Et puis il se tenait à carreaux quelques jours.

Avant de repartir vers l’infini.

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