Un sondeur pointu
20 juin, 2010Ce matin là, John se lavait les dents. Assidûment, car le dentiste avait dit : assidûment. Surtout les gencives. John savait que ses dents étaient son tendon d’Achille. Lorsque le praticien lui avait asséné cette vérité en retirant son gant et ses masques d’un air professionnel, John avait été pris de panique et accessoirement d’une frénésie de brossage. Devant lui, s’alignait un rayon complet de bains de bouches multicolores dont il se gargarisait dans tous les sens de l’expression. C’est que l’idée de se trouver à quarante cinq ans, dans un petit matin blême ou pas importe, en train de nettoyer son dentier pendant que sa conquête d’une nuit s’étirait mollement entre ses draps, cette idée-là le terrorisait.
L’opération durait donc. Les minutes passées à astiquer sa mâchoire laissaient à John le temps de réfléchir au rendez-vous qu’il avait arraché de haute lutte à Isabelle, ce jour là. La belle lui plaisait : une brune sirupeuse, un nez mutin constellé de tâches de rousseur du meilleur effet, et un regard noir de jais à faire pâlir un fantôme. L’affaire fut ardue : l’objet de son attention n’était pas libre selon ses propres dires. John avait du déployer ses ressources d’hypocrisie les plus affûtées pour la convaincre de l’opportunité d’une rencontre. Justement, l’envie d’une visite approfondie au musée des Arts Modernes le tenaillait depuis longtemps déjà. Les commentaires avisés d’Isabelle, amatrice éclairée en ce domaine, seraient une aide particulièrement efficace pour lui rendre cette étude encore plus fructueuse.
Lorsque la sonnette de la porte d’entrée fit son office de manière stridente, John, courbé sur le lavabo fut pris d’un hoquet et rejeta d’un coup dans le lavabo, l’une de ces nouvelles solutions antiseptiques qui, selon les dires de la pharmacienne Juliette Cisowski confirmée par les messages publicitaires télévisuels, ne devait pas laisser la moindre chance d’intrusion buccale aux plus indisciplinés des microbes actuellement recensés sous nos latitudes.