Les états d’âme du cardinal

Le cardinal Jeanjean portait un secret. Un lourd secret comme tous les secrets pour cardinaux d’Eglise. Le cardinal Jeanjean se disait parfois, pour se détendre, qu’il faudrait inventer les secrets légers à porter de la même manière que les grands couturiers ont su travaillé de nouveaux tissus dont il est agréable de se vêtir. Malgré son mètre quatre vingt trois et ses cent douze kilos hérités d’un passé rugbystique dans le quinze de Carcassonne, il était un être d’une grande sensibilité. Le cardinal Jeanjean peinait sous la charge des confidences qu’il avait recueillies. 

Parfois, il en discutait avec ses pairs pour se sentir moins écrasé. Les cardinaux plus expérimentés que lui répondaient qu’ils étaient eux-mêmes les détenteurs de confessions pesantes. Le cardinal Jeanjean aurait aimé délivrer son esprit, mais ses congénères lui démontraient qu’un secret dévoilé n’était plus un secret et qu’il convenait donc que chacun garde secrets ses secrets. Un beau matin, le cardinal Jeanjean frotta d’un geste auguste son front dégarni, fixa de ses yeux bleus comme les cieux du paradis son missel, agenouilla sa grande stature fatiguée devant la croix, et pria. 

Sans outrager les préceptes de la religion, on ne peut pas dire que l’opération lui fut d’un grand secours. Une idée lui vint pourtant.

Il convoqua l’évêque Dugrain pour un entretien important. L’évêque était un homme pondéré, pas très porté sur l’humour et la bonne chère, mais toujours de bon conseil. Son long visage austère et émacié se pencha courtoisement de coté pour écouter l’étrange discours de son supérieur hiérarchique. Le cardinal Jeanjean fit part à son interlocuteur de la peine qu’il avait à supporter la confidence dont il était le porteur. Un tel poids obscurcissait sa vie spirituelle et intellectuelle. Il fallait trouver un moyen d’en sortir sans briser pour autant les lois de la confession.   

L’évêque Dugrain se gratta le menton dans une attitude respectueuse. Il avoua que lui-même avait reçu de ses pénitents des informations difficiles à garder par devers lui. Le cardinal Jeanjean lui proposa d’échanger leurs secrets pour les alléger. Mais pour que la transaction soit équitable et juste comme il convenait entre hommes d’Eglise, il était nécessaire qu’on puisse soupeser les secrets de l’un et de l’autre. Et pour procéder à cette opération, il fallait bien entendu les dévoiler ce qui leur aurait fait perdre leur qualité de secrets. Le problème devenait insoluble. Les deux prélats durent en convenir malgré leur grande expérience des choses de la vie. 

L’évêque Dugrain se tritura de nouveau le menton ce qui était chez lui un indice de réflexion approfondie. Devant le désarroi de Monseigneur Jeanjean, il eut soudain une brillante idée. Une telle remise en cause de son sacerdoce devait être portée au plus haut niveau. Il fallait en informer Sa Sainteté le Pape. C’est ainsi que les deux soutanes prirent le chemin du Vatican. Le pape écouta les deux hommes avec le recueillement qui sied à l’envoyé de Dieu sur Terre. Lorsqu’ils eurent achevé d’exposer leurs doutes, sa Sainteté garda le silence pendant un instant de réflexion avant de donne réponse. 

Si  le cardinal Jeanjean et l’évêque Dugrain imaginaient que le pape n’avait rien à porter, ils se trompaient lourdement. Sa Sainteté détenait des confidences dont dépendait le sort de la planète. D’ailleurs, si Sa Sainteté avait connu le poids d’une telle charge, elle n’aurait peut-être pas sollicité avec autant d’entrain  le suffrage de ses pairs au moment de l’élection ! Les petits mystères dont se croyaient investis deux petits prélats languedociens n’étaient rien à coté des dessous de la diplomatie internationale dont Sa Sainteté détenait les clés. 

De plus, Elle se demandait si Monseigneur Jeanjean et l’évêque Dugrain mesuraient bien l’envergure des responsabilités qu’elle supportait d’une part, l’agenda de fou qui était le sien d’autre part, et le temps qu’ils venait de Lui faire perdre, enfin. Econduits par la plus haute autorité de l’Eglise, les deux hommes regagnèrent les tours de Carcassonne déconfits et penauds, toujours lestés de leurs secrets personnels et peu rassurés par l’audience papale au cours de laquelle leur patron avait longuement exposé les préoccupations de sa charge au lieu de se pencher sur les leurs. 

Pourtant, l’évêque Dugrain, après s’être de nouveau effleurer la mâchoire de ses longs doigts osseux, déclara à Monseigneur Jeanjean que rien n’était perdu et qu’il avait un dernier recours à lui proposer. L’évêque connaissait bien le curé du village de Bédarrides qui était un homme pétri de bon sens paysan grâce auquel il avait souvent aidé le responsable de son évêché. 

Les deux dignitaires ecclésiastiques se transportèrent illico jusqu‘au village d’un simple prêtre. Les trois hommes arpentèrent longuement les allées du jardin potager de l’Eglise. Contrairement aux usages de la hiérarchie, c’était le curé de Bédarride qui était au centre du groupe tandis que le cardinal et l’évêque se penchaient avec déférence vers sa silhouette ventripotente pour recueillir son conseil. Comme les petites gens, le père Marcel vivait d’idées simples. Pour se délivrer d’un lourd secret, il suffisait d’en parler en confession à un autre prélat. Ainsi, la confidentialité du secret serait garantie par le secret de la confession. 

Jeanjean et Dugrain se regardèrent en se demandant comment ils n’y avaient pas pensé d’une part et en s’avouant qu’il valait mieux s’adresser aux saints qu’à Dieu d’autre part. Ils pratiquèrent donc l’interconfession du père Marcel et se délivrèrent réciproquement de leurs poids. On comprendra qu’on ne puisse ici dévoiler les secrets du cardinal Jeanjean et de l’évêque Dugrain pour la bonne raison que le faire serait violer le secret de la confession et que, de toute façon, grâce au système génial de l’interconfession du père Marcel, nous n’avons absolument aucune idée des informations qui semblaient si lourdes aux deux hommes. 

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