Le complot (partie III – suite et fin)

..Ou qui était François Ravaillac ? 

Taillandier arpentait le pavé tout à ses pensées quand il s’engagea sans vraiment prendre garde dans un passage étroit. A ce moment, deux hommes, enveloppés de capes, le visage dissimulé par un feutre aux amples bords, surgirent et fondirent sur lui. Taillandier, surpris, n’aurait pu échapper à leurs épées si Marcus, plus vif que l’éclair n’avait déjà lancé deux coutelas d’un seul jet, qui allèrent se ficher dans la poitrine de chacun des deux intrus, lesquels s’écroulèrent sans un cri.

Taillandier, homme de sang-froid, se tourna vers Marcus :

 J’ai failli attendre Marcus !…

Ce mot plaisant était sa façon à lui de se détendre, tout en remerciant son valet qui venait de lui éviter un trépas qu’il jugeait bien prématuré.

Taillandier résuma pour lui-même une situation qui s’éclaircissait à chacun de ses pas : il n’était plus en sécurité à Paris puisqu’il avait débusqué un véritable complot d’Etat alors qu’il avait pour seul ambition de mener une petite enquête de dimension provinciale.

Le soir venu, Jean Taillandier s’attabla devant ce qu’il considérait comme la récompense d’un séjour mouvementé dans la capitale, une omelette au lard fumé concoctée par Maître Marin et Dame Marin dont c’était la spécialité, arrosée d’un cidre doux de leur Normandie natale. Taillandier s’essuyait la bouche d’un revers de gant quand un jeune gamin au visage étoilé de tâches de rousseur, après avoir ouvert la porte de l’auberge à la volée, se précipita sur lui en tendant un message.

Taillandier happa la missive mais aussi le bras du gosse. Celui-ci se mit à gigoter et à battre l’air d’un grand mouvement de mains. Maître Marin intervint :

- Je le connais, Monseigneur, il est sourd-muet de naissance…

L’angoumoisin relâcha son emprise. D’un mouvement adouci de regrets, il passa ses doigts sur la tête de l’enfant qui s’enfuit comme il était venu.

Le message s’avérait bref, fixant un nouveau rendez-vous, le lendemain matin, dans un confessionnal de l’Eglise Saint-Augustin. Taillandier se prit à penser que, décidemment, la communauté ecclésiastique s’intéressait beaucoup à ses faits et gestes. 

A Paris, Taillandier ne se déplaçait pas à cheval. Il préférait de loin parcourir les rues de la capitale à pied. Son instinct de policier lui soufflait qu’ainsi immergé dans la foule, il apprendrait beaucoup plus de choses sur l’air du temps, le mouvement des idées et les fantaisies populaires qui sont souvent à l’origine des évènements les plus dramatiques. Chemin faisant, suivi à trois pas de Marcus au regard toujours aussi torve envers les manants qu’ils rencontraient sur leur route, il aperçut un attroupement autour d’un placard affiché sur le mur d’une auberge. Un gueux un peu plus lettré que les autres lisait à haute voix l’écrit ce qui avait pour conséquence de faire hurler de rire les hommes et les femmes qui l’entouraient. Entre deux éclats d’amusement, chacun hochait la tête et ajoutait un commentaire favorable à ce qui venait d’être lu.

Marcus fut chargé de libérer le chemin à grands coups d’épaule et du plat de sa rapière pour que son maître puisse prendre connaissance du document. C’était effectivement un pamphlet très drôle qui stigmatisait les grands du royaume, se moquant d’une manière jubilatoire de leurs façons de courtisans et de la flagornerie dont ils usaient pour favoriser leur carrière à
la Cour.                                                                                                    

Taillandier remarqua rapidement que le libelle avait été placardé à tous les coins de rue, déclenchant immédiatement l’arrivée d’une troupe de gens d’armes qu’il reconnut comme appartenant au duc d’Epernon. Bousculant la populace sans ménagement, les soldats eurent tôt fait d’arracher des murs du quartier l’objet du plaisir populaire. Jean Taillandier avait observé depuis longtemps que les Grands de ce monde tremblaient bien davantage devant des mots plaisamment ordonnés par la main du poète que dans un duel ensanglanté à l’arme blanche.

Dans l’église, la pénombre rendait les lieux sinistres. Taillandier eut de la peine à trouver le confessionnal où son correspondant devait l’attendre. Il laissa Marcus s’embusquer à l’abri d’un pilier, armes à la main, puis s’agenouilla dans l’endroit réservé à l’énoncé des péchés du pénitent. A travers la grille, Taillandier distinguait peu de choses : une silhouette encapuchonnée à la manière d’un moine. Le visage de son interlocuteur était plongé dans l’ombre. Il parla d’une voix sourde et hachée :

- Monsieur, si vous tenez à votre enquête, n’essayez pas de savoir qui je suis. Contentez-vous de m’écouter…

L’homme parla longuement des évènements de ces derniers jours à Taillandier qui observa le mutisme le plus complet comme cela lui avait été demandé. A la fin de son exposé, l’homme indiqua qu’il allait quitter les lieux et que Taillandier devrait compter jusqu’à cent avant de se lever. Son sort en dépendait. C’est ainsi que Marcus qui surveillait attentivement les alentours fut surpris par la silhouette indistincte d’un moine qui glissa furtivement jusqu’à la sortie du bâtiment de Dieu.

Taillandier respecta scrupuleusement les indications de son informateur. D’autant plus que très troublé par ce qu’il venait d’apprendre, il avait besoin de mettre de l’ordre dans ses idées. En sortant il fut ébloui un instant par l’éclat du soleil de printemps que les marches blanches de l’église renvoyait durement. Et puis, il aperçut qu’un groupe s’était formé sur le parvis. Marcus lui dégagea le passage une nouvelle fois en écartant les gueux et les mendiants attirés par la curiosité et surtout par la possibilité de dépouiller un cadavre, ce qui était chose courante dans ces temps incertains. Quand il vit le corps du moine allongé sur les marches, baignant dans son sang, Taillandier sut immédiatement qu’il s’agissait de l’homme qui venait de le renseigner.

De retour dans sa chambre, Taillandier se jeta sur sa couche avec la ferme intention de repasser calmement tous les évènements qu’il venait de vivre. Il se confirmait que, partant d’une petite affaire de crimes dans sa province, il venait de mettre les pieds dans une gigantesque affaire d’Etat. La rapidité avec laquelle on faisait disparaître ses témoins et l’évidente facilité avec laquelle on aurait aimé qu’il disparaisse aussi, démontrait qu’il avait à faire face à une organisation déterminée et manipulée en hauts lieux. Un autre élément qui entrait dans la réflexion de Taillandier était que celui-ci tenait fortement à la vie et qu’il sentait qu’en dépit de la présence de Marcus, celle-ci pouvait très bien s’achever rapidement compte tenu de ce qu’il avait appris dans l’Eglise Saint-Augustin. Il lui fallait donc se constituer une sorte d’assurance sur la vie avant de s’en retourner dans son Angoumois natal. Une idée venait de lui traverser l’esprit à ce sujet.

L’homme qu’il fit venir dans sa chambre l’après-midi même n’inspirait pas confiance à Marcus, ni d’ailleurs à personne d’autre. Il était de petite taille voûté, sale, hirsute, dépenaillé. Mais il était doté d’un regard peu ordinaire. D’un bleu profond sous ses sourcils ombrageux, ses yeux dévoraient son interlocuteur avec intensité et malice. Taillandier, qui avait pourtant vu défiler un grand nombre de criminels inhumains devant lui, fut impressionné par la présence physique de cet homme. Mais présentement, l’homme qui prétendait s’appeler Henri Dugoujon l’intéressait. Taillandier le savait très lié au poète Mathurin Régnier, dont les œuvres satiriques, jubilatoires et irrévérencieuses amusaient tout le royaume. Enfin… sauf les hauts personnages qui s’y trouvaient décrits. Par ailleurs, Dugoujon était le centre d’un réseau diffus de poètes plus ou moins impécunieux qui n’aspiraient qu’à connaître le même succès de Mathurin Régnier en commettant des œuvres encore plus subversives. Selon les informations de Taillandier, ces mauvais esprits se réunissaient régulièrement dans l’arrière cour des estaminets les plus mal fréquentés de la capitale pour être sûrs de ne pas être dérangés.

Quand Taillandier eut fini d’exposer sa requête au sieur Dugoujon, il le congédia lesté d’une forte bourse puis se prépara pour une autre visite. Marcus crut son maître dérangé de l’esprit lorsqu’il s’aperçut que ses pas l’entraînaient vers l’hôtel particulier du duc d’Epernon dont ils s’étaient déjà fait renvoyés comme des laquais malpropres lors de leur première incursion. Apparemment Taillandier avait un plan différent.

Effectivement, le premier mouvement de la garde du Duc fut de barrer leur chemin d’un air méchant, hallebardes en avant.

-Messieurs, veuillez rapporter à votre maître ses simples mots : « Honneur et Sainte Croix »

Après une courte hésitation et devant l’air décidé de Taillandier, le capitaine de la garde disparut un instant. C’est ainsi que Jean Taillandier fut introduit dans le cabinet de travail de monsieur le Duc d’Epernon. Celui-ci était attablé devant une multitude de parchemins dépliés et avait l’air fort affairé. Après avoir fait patienté suffisamment Taillandier pour mettre celui-ci en situation d’attente gênée, il releva enfin le front qu’il avait haut et dégarni, pour poser un regard neutre sur son visiteur :

- Monsieur, vous avez utilisé une bien étrange expression pour vous présenter à moi…Mais je crois que vous arrivez d’Angoulême. Quelles nouvelles m’apportez vous de cette cité chère à mon cœur ?

Il dévisagea tranquillement Taillandier qui se tenait droit devant lui, la main sur la garde de son épée, on n’est jamais trop prudent. Ainsi donc, pensa D’Epernon, voici l’homme que je fais rechercher dans tout Paris depuis quinze jours et qui vient se jeter tout seul dans la gueule du loup. Quelle étrangeté !

Taillandier résolut d’ignorer la question du duc.

- Monseigneur, je ne suis pas homme à emprunter de sinueux détours, je vais aller droit à la cible de ma visite.

Tandis que le duc d’Epernon arpentait son cabinet de long en large, le front baissé, les mains dans le dos, Jean Taillandier récapitula tout ce qu’il avait appris des évènements survenus pendant les trente derniers jours. Lorsqu’il en arriva à son entretien avec l’homme du confessionnal, il n’hésita point. L’homme assassiné sur le parvis de l’Eglise lui avait avoué faire partie du complot monté de toutes pièces pour tuer le roi. Il avait reconnu qu’une deuxième bande de conjurés attendaient le passage du carrosse royal un peu plus loin que la rue de la Ferronnerie. Six hommes avaient été postés là pour faire le travail au cas où Ravaillac aurait failli à la tâche. Le cri de ralliement de cette bande d’assassins était « Honneur et Sainte-Croix ».A ces mots, le dus d’Epernon se posta devant la fenêtre qui donnait sur les jardins de son hôtel où les jardiniers s’activaient. Il gardait une main dans le dos tandis que l’autre peignait rêveusement sa barbiche.

Taillandier acheva son exposé sans trembler :

- Monseigneur, poursuivit-il, je sais que dans les temps troublés que vit le royaume, il ne sied pas à un simple officier de police de s’immiscer dans des affaires de haute politique auxquelles il n’entend rien. Mais, vous comprendrez aussi que je tienne à revenir entier dans ma bonne ville d’Angoulême que vous aimez tant. Si, par un malencontreux accident du destin, il advenait que ma modeste personne vienne à rendre son âme à Dieu d’une façon peu naturelle, j’ai pris mes dispositions pour que les murs de Paris soit instantanément couverts de pamphlets qui relateront au peuple de la capitale les douloureuses circonstances de la mort de son bon roi.

Le silence se fit après cette déclaration péremptoire de Taillandier. D’Epernon continuait d’observer ses jardins en se lissant la barbe. Ce Taillandier était décidemment un homme fin et rusé, quel dommage qu’il n’ait pu l’employer à son service ! Il se retourna d’un bloc et héla le capitaine de sa garde. Taillandier se raidit craignant son arrestation.

D’Epernon s’adressa au soldat en armes qui se tenait prêt à toute éventualité :

- J’ai eu le grand plaisir de recevoir Monsieur Taillandier qui m’a rapporté des nouvelles fraîches et rassurantes de ma ville d’Angoulême. Vous ferez en sorte qu’il y retourne et qu’il puisse y vivre en toute sécurité ! Vous m’en répondrez !

                                                                                                                                                      

                                                                                                                                                      

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