Le complot (partie II)
… Ou qui était François Ravaillac ?
Taillandier était pénétré de l’exigence de justice. Il savait que cette vertu réclamait abnégation et volonté. Il avait horreur de laisser une affaire sans suite et encore plus de ne pas mettre la main sur un assassin en liberté, ou du moins de ne pas établir son nom avec certitude. En l’espèce, il était presque certain que Ravaillac avec quelque chose à voir avec les tueries de filles mères qui étaient survenues dans la paroisse de la Brie, près d’Angoulême. Il aurait suffit qu’on lui laisse interroger l’homme pendant quelques minutes. Les Grands du Royaume ne l’avaient pas entendu de cette oreille. Par ailleurs, Taillandier était extrêmement surpris de la célérité avec laquelle ils avaient arrêté, jugé et exécuté François Ravaillac. Tous ces éléments réunis lui laissaient une impression de malaise et d’inachevé.
Il n’était pas homme à se laisser découragé par les évènements et entendait bien poursuivre son enquête même si le bourreau lui avait, en quelque sorte, volé son principal témoin et si celui-ci, qu’il soit ou non l’assassin qu’il cherchait, ne connaîtrait plus jamais la liberté.
Le Pont-neuf était encombré de marchands, de jongleurs, de soldats en armes discutant ou se chamaillant entre eux quand Taillandier l’aborda tout en poursuivant sa réflexion sur la meilleure manière de poursuivre son travail.
Alors qu’il dépassait avec difficulté un marchand de vin qui roulait bruyamment un tonneau sur la pavé, il fut bousculé par une silhouette de moine qui s’enfuit immédiatement dans la foule, après lui avoir murmuré distinctement :
- Ce soir, à minuit, au Cimetière des Saints-Innocents
L’incident avait été si vif qu’il avait surpris Marcus pourtant prompt à réagir ordinairement. Il avait dégainé sa dague d’un geste décidé, mais le moine vrai ou faux s’était déjà évanoui dans la foule. Taillandier ordonna à Marcus ne pas poursuivre l’apparition. Celle-ci l’avait prise au dépourvu, mais en même temps, il se réjouissait : enfin, sa venue à Paris dérangeait ou appâtait quelqu’un. Il ne savait pas encore qui se cachait derrière l’invitation du moine, mais cette mystérieuse apparition le tirait d’une situation bien embarrassante depuis que son seul témoin, éventuellement coupable, venait de trépasser.
Le soir venu, les deux angoumoisins, enrobés de capes noires s’aventurèrent entre des tombes qui projetaient des ombres sinistres sous la clarté d’un croissant lunaire à moitié masqué quelques nuages paresseux. Pour affronter l’entreprise qu’il jugeait hasardeuse, Marcus avait multiplié les précautions, doublant l’armement qu’il portait habituellement sous ses vêtements.
A l’heure dite, les deux hommes sursautèrent en entendant une voix caverneuse derrière eux :
- Ne vous retournez pas, Messieurs !
Taillandier dut contenir le bras de Marcus qui allait faire exactement ce que l’homme recommandait de ne pas faire et probablement lui envoyer l’un de ses coutelas en plein coeur. On lui avait déjà estourbi son principal suspect, il convenait de ménager le seul informateur qui lui restait.
- Messieurs, mes amis et moi-même savons bien les raisons de votre venue dans la capitale. Votre recherche va vous exposer à beaucoup de risques, mais nous sommes prêts à vous aider autant que nous le pouvons. Pour commencer, vous auriez le plus vif intérêt à entendre la Dame Descomans, rue de la Thimonnerie….
Jean Taillandier tenta de poursuivre la conversation :
- Monsieur, je suis bien aise de votre secours ! Mais si vos amis projettent d’être les nôtres, il me serait agréable de les rencontrer…
Un silence glaçant lui répondit. Taillandier risqua un coup d’œil par-dessus son épaule. L’alignement sinistre des croix mortuaires ne lui laissa aucun doute : la voix et son titulaire s’étaient éclipsés comme ils étaient arrivés, sans un bruit.
Le lendemain de cette promenade nocturne et sinistre, Taillandier se rendit chezla Dame Descomans. Il y fut beaucoup mieux reçu qu’il ne craignait. La Dame Descomans cachait ses rondeurs et avantages sous une envolée de voiles vaporeux. Ses joues ornées deux monstrueux grains de beauté fascinaient le regard. Visiblement, le vocabulaire peu châtié de la maîtresse de maison jurait avec le confort de ses appartements. Taillandier en déduisit que son hôtesse, d’extraction populaire, était logée et probablement entretenue sur un grand pied par de puissants personnages ce qui ne manqua pas d’aiguiser sa curiosité.
La Dame Descomans s’ennuyait à mourir en ces lieux et ne se fit pas prier pour rapporter à son visiteur ce qu’elle savait sur François Ravaillac. Oui, Monsieur d’Epernon, l’avait prié d’héberger l’angoumoisin chaque fois qu’il venait à Paris. Au début, la Dame Descomans avait peur de ce géant au poil noir qui portait une drôle de barbe rousse. Et puis, en apprenant à mieux le connaître, elle finit par lui trouver une grande douceur de caractère. Ravaillac lui paraissait un homme très pieux, citant souvent les Evangiles dans sa conversation.
Usant des bonnes grâces de son hôtesse, Taillandier se fit conduire dans la chambre que feu Ravaillac habitait lors de ses passages. L’endroit était petitement meublé, mais on pouvait y vivre confortablement. L’œil aiguisé de Taillandier fit un premier tour de la pièce, puis il entreprit une fouille systématique. La Dame Descomans, très favorablement impressionnée par l’énoncé de la fonction de Taillandier qui avait, à ses yeux, des airs particulièrement officiels, n’y trouva rien à redire. En soulevant la paillasse du lit, le policier découvrit enfin ce qu’il cherchait. Sa main plongea et retira un chapelet dont il considéra un instant les grains noirs en portant l’objet à hauteur de son regard. Pour la première fois depuis bien longtemps, Jean Taillandier sourit.
En se retrouvant dans la cohue des rues de la capitale, Taillandier, suivi à dix pas par Marcus aux aguets, fit mentalement la liste de tous les renseignements qu’il venait de recueillir. Le chapelet était une pièce à conviction déterminante : on avait retrouvé le même objet sur les corps martyrisés des filles mères de la paroisse de la Brie. C’était, pour Taillandier, la preuve irréfutable de l’implication de Ravaillac dans les meurtres sur lesquels il enquêtait. Mais ce qui le stupéfiait encore plus, c’est qu’au détour de la conversation,
la Dame Descomans lui avait révélé, sans doute imprudemment, qu’il existait un lien entre le duc d’Epernon et l’assassin du bon roi Henri. Taillandier mesurait parfaitement l’énormité de cette confidence. Il comprit qu’il venait de mettre les pieds dans une affaire dont la révélation pourrait bouleverser le Royaume.
D’un pas résolu, il se dirigea vers la rue de la Ferronnerie, toujours suivi de la silhouette inquiétante de Marcus, qui dévisageait par en dessous toutes les figures que croisait son maître et qui n’avaient pas l’honneur de lui plaire immédiatement.
Dans la rue où fut assassiné le roi, Jean Taillandier marqua un long moment d’observation des lieux. Puis, il interrogea un potier qui tenait son échoppe non loin des lieux. L’homme, dont la langue fut facilement déliée par quelques pièces sonnantes, dressa un tableau tellement saisissant de l’évènement que Taillandier eut l’impression de le revivre.
En revenant dans la ruelle, son attention fut attirée par une petite borne en pierre, sur laquelle le tueur avait pu prendre appui pour mieux atteindre le roi. Puis, les badauds purent voir Taillandier mesurer la largeur de la rue à grandes enjambées, tout en marmonnant dans sa barbe. Marcus s’inquiétait de plus en plus d’une telle mise en scène par son maître.
Après une heure d’allées et venues dans le quartier, Taillandier résolut enfin de rejoindre son auberge. Il savait à peu près ce qu’il voulait savoir. A partir des faits qu’il venait de réunir ses réflexions l’avaient inéluctablement conduit à des conclusions dont les conséquences lui paraissaient d’une importance inouïe.
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