Moi, je serai le type qui parle vite ou alors qui ne parle pas. Ça dépendra des jours. Chaque fois que le soleil se lèvera, tout le monde se demandera si c’est un jour où je vais m’exprimer ou alors si j’ai envie de me murer dans le silence pendant vingt-quatre heures. Je ne le saurai moi-même qu’au dernier moment. Ce sera comme ça, ce sera ma nature. Rebelle et imprévisible, ça devrait plaire aux femmes.
Lorsque je bavarderai, il faudra que mon débit de parole soit comparable aux flots tumultueux du torrent de la montagne. Parler vite, ce sera une obligation parce que, dans mes bons jours, je serai animateur de radio. De radio pour jeunes évidemment, je n’envisage pas d’animer les soirées de maisons de retraite. Les animateurs de radio pour adolescents parlent à toute vitesse, il suffit de les écouter pour s’en rendre compte. Ils sont payés au nombre de mots par minute. Mon père affirme qu’on ne comprend rien à ce qu’ils disent. Peut-être mais enfin, c’est le style jeune et, de plus, c’est probablement fait exprès. Bien évidemment au-delà de 35 ans, on ne comprend rien.
Je m’entraîne dur pour parler aussi rapidement. Je bute souvent sur les mots. Une bonne technique consiste à ne pas prononcer toutes les syllabes ou alors de mettre d’autres sons à la place de ceux qui gênent l’élocution. Quand le mot est trop long, il ne faut pas hésiter à le tronquer. Et puis, il faut perdre cette habitude d’articuler, ouvrir la bouche trop fortement fait perdre un temps fou.
Quand je serai suffisamment connu à la radio, je passerai animateur à la télé. Alors là, non seulement il faut discourir comme une flèche qui serait dotée de la parole, mais encore il faut rire. Plus exactement, il faut inviter un grand nombre de gens célèbres autour d’une table dont le rôle sera de rire. Je les interpellerai, ne les laisserai pas me répondre, quelqu’un d’autre m’interrompra, je continuerai à parler. Plus personne ne s’entendra et à un moment donné, un signal magique interviendra qui obligera chacun à s’effondrer de rire, ce qui fait que, non seulement, le téléspectateur n’aura pas pu suivre le laïus des invités, mais encore, il n’aura pas la moindre idée du motif de l’hilarité générale. Si l’on ajoute à cette cacophonie, les applaudissements d’un public trié sur le volet et chargé de rire quand on lui dira de s’esclaffer, je pourrai, moi aussi, réussir une émission complètement inaudible. Pour faire monter l’audimat, je pourrai quand même laisser passer quelques histoires plutôt polissonnes, très courtes, qui déclencheront évidemment des flots de rigolades les plus vulgaires possible. J’ai un copain dans la classe qui a les mêmes idées que moi. A nous deux, nous allons mettre en place un concept complètement décadent.
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