Le complot (Partie 1)
Le supplicié venait de pousser ses derniers hurlements avant de rendre son âme à Dieu. Sur la roue de son châtiment, il ne restait qu’un amas de chair rouge et fumant. Le bourreau s’activait encore auprès des chevaux qui avaient atrocement écartelé l’homme. Sous sa cagoule pourpre, ses yeux luisaient. Sa puissante poitrine nue ruisselait de sueur. Son œuvre avait été compliquée pour lui et abominable pour le condamné. Il n’aurait pas souvent l’occasion d’exécuter un régicide : il lui tenait à cœur d’accomplir sa tâche à la perfection.
La foule qui s’était amassée sur la place de Grève dès les premiers rayons du soleil, exultait. Elle avait crié vengeance et extériorisé sa violence dès l’arrivée du dénommé Ravaillac sur les lieux de son supplice.
Les hommes et des femmes excités par le sang s’agitaient frénétiquement. Les poings et les fourches se levaient, les visages déformés par la haine vociféraient. Le rugissement du peuple assoiffé de représailles fracassait les tympans. Les dernières paroles du condamné n’avaient pas été entendues par d’autres personnes que le prêtre, le bourreau et son assistant.
Dans l’encoignure d’une porte deux silhouettes étaient adossées. Un des deux hommes, longiligne et athlétique, étaient tout de noir vêtu. En s’approchant de lui, on aurait pu voir néanmoins que son pourpoint était finement ourlé de fils d’or. En outre, il avait la mine elle-même particulièrement sombre, ornée d’un bouc couleur corbeau, tandis que son regard de jais furetait dans toutes les directions. Il était sans doute le seul à s’intéresser moins au spectacle qu’aux êtres humains qui y assistaient.
Jean Taillandier, lieutenant criminel à la châtellenie d’Angoulême, était accouru à brides abattues dans la capitale dès qu’il avait appris la mort du roi Henri et le nom de son assassin. Pour l’heure, le châtiment de François Ravaillac ne le satisfaisait pas, mais alors pas du tout. Et lorsque Jean Taillandier était contrarié comme à ce jour, il mâchonnait longuement un bâton de réglisse.
A ses cotés se tenait Marcus, son homme de main. Il était affublé de son feutre habituel crasseux et informe, et avait revêtu un large mantel d’une couleur indéterminée qui ne cachait rien de son armement : une dague effilée à chacun de ses cotés et une rapière sur laquelle il tenait constamment une main, même lorsque le danger n’existait pas.
Marcus assurait la sécurité de Taillandier, mais aussi les besognes les plus basses dans lesquelles le nom d’un officier de sa qualité ne devait pas apparaître. Il y a cinq ans, lorsque Taillandier avait arrêté Marcus après une série de meurtres crapuleux, il avait tout de suite vu l’avantage qu’il pourrait tirer de cet homme sans foi ni loi. Le marché avait été vite conclu : Marcus aurait la vie sauve, s’il s’attachait indéfectiblement aux basques de Taillandier pour en écarter sans ménagement tous ceux qui avaient une bonne raison d’attenter à sa santé ou même à ses jours. Taillandier poursuivait les criminels et les voleurs avec tant d’obstination qu’il mettait souvent sa sécurité en danger. Marcus suivait ainsi son maître en toutes occasions. D’un regard sournois derrière des sourcils broussailleux, la mâchoire pendante et édentée, il se tenait légèrement voûté : l’aspect de Marcus faisait peur et c’est exactement ce que Taillandier voulait.
La clameur de la foule ne s’apaisait pas. Devant Taillandier, un jeune meunier avait entassé deux sacs de grains l’un sur l’autre et était grimpé sur ce monticule pour avoir une meilleure vue. Il criait : à mort ! Sans s’apercevoir que le prisonnier avait déjà trépassé. Une femme du peuple tonitruait également sans ménager le bébé qu’elle tenait, endormi, dans ses bras. Des fenêtres de l’auberge voisine où les clients de passage s’étaient entassés les uns sur les autres, des insultes et des braillements fusaient.
Mais le regard de Taillandier était plutôt attiré par l’estrade où le tout-Paris s’était donné rendez-vous. Tous les Grands du Royaume étaient là : Marie, la veuve du roi défunt, le duc d’Epernon, au masque impassible, la Duchesse de Verneuil qui fut dans les bonnes grâces du souverain assassiné, Monsieur de Sully qui paraissait le plus ému et beaucoup d’autres. Les femmes tenaient devant leur visage un mouchoir de dentelle ou un éventail pour tenter d’échapper à la puanteur qui montait du supplicié. Les principaux seigneurs présents qui avaient compris que le spectacle s’achevait recommençaient à bavarder entre eux comme s’ils revenaient d’un spectacle.
L’attention de Taillandier se reporta sur le corps informe du condamné écartelé sur la roue, dont on commençait à dételer les liens. La première des raisons de la venue de Taillandier à Paris résidait dans le fait qu’il connaissait bien la famille Ravaillac et on pouvait même dire qu’il la connaissait tristement.
Dans cette famille, il n’ y en avait pas un pour racheter l’autre. Le père Jean Ravaillac était un mécréant parfaitement connu à Angoulême. Il avait dissipé dans une vie de débauche et de vice le patrimoine légué par ses parents ainsi qu’une partie des avoirs de sa femme, qui avait du plaider longuement pour obtenir la séparation. Le premier fils Geoffroy Ravaillac ne valait guère mieux. Il avait eu maille à partir avec la justice à plusieurs reprises. Il fut notamment accuser d’avoir assassiné un nommé Fontaneau dont il avait séduit la femme.
Quant à François Ravaillac, exécuté ce 27 mai, sa personnalité était encore plus complexe. Ce géant roux faisait peur à ses interlocuteurs. Pour certains, il se révélait pourtant doux et bon catholique mais Taillandier pensait que Ravaillac était surtout un dangereux exalté. Il avait appris sa vie par cœur : d’abord valet de chambre, il fut un temps moine avant d’être éconduit par l’Eglise, puis enseignant instruisant jusqu’à 80 enfants des beaux quartiers de sa cité d’origine et enfin solliciteur de procès. Il connut la prison pour dettes à plusieurs reprises avant d’être libéré par la justice dans des circonstances que Taillandier s’entêtait à trouver fort troubles.
Bien qu’il ait fait, pendant ces dernières années, l’objet d’une surveillance constante de la part des hommes de Taillandier, Ravaillac s’était éclipsé d’Angoulême à plusieurs reprises pour des voyages mystérieux à Paris et à l’étranger. En dépit de ses soupçons, Taillandier n’avait jamais trouvé une raison suffisante pour l’arrêter et l’emprisonner durablement.
Taillandier était arrivé à Paris le 25 mai, l’avant-veille de l’exécution. Dès le lendemain, il avait demandé à parler d’urgence au prisonnier. Il avait été rejeté sans ménagement de la prison du Châtelet. Quinze valets l’avaient chassé de l’hôtel du duc d’Epernon, auprès duquel il avait sollicité une entrevue. Durement menotté, il avait été littéralement flanqué à la porte comme un mendiant. Même Marcus, en dépit de son agressivité légendaire, avait du rompre devant le nombre de combattants.
Perplexe mais décidé à poursuivre sa tâche après l’exécution du condamné, Taillandier se décida à regagner l’auberge de Maître Marin, en louvoyant au sein de la cohue populaire, suivi comme son ombre par le silencieux Marcus. Jean Taillandier avait toutes les raisons d’être dépité et de fort méchante humeur. Il avait des questions importantes à poser à François Ravaillac en relation avec une série de meurtres de femmes commis depuis quelques mois dans le ressort de sa compétence. En fait, il soupçonnait le régicide d’être aussi responsable de ces actes. Les jeunes femmes assassinées avaient toutes pour point commun d’être des filles mères ce qui déplaisait fortement à l’Eglise dont François Ravaillac s’estimait être l’un des plus ardent défenseur.
A suivre
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