Des forêts menacées
18 mai, 2010Dans l’air frais d’une matinée pourtant ensoleillée, Jean-Eudes de Sauveterre chemine à grands pas dans les prairies naissantes au printemps, en tirant sur sa bouffarde, compagne familière de ses marches forestières. Ses mèches d’argent se soulèvent parfois sous la brise légère. A soixante douze ans, son visage émacié respire encore l’énergie, la curiosité et parfois la nostalgie lorsqu’il s’adoucit. Jean Eudes a passé son pull de laine gris et son pantalon de velours, uniforme obligé du propriétaire terrien qu’il est encore dans ce coin humide du pays de Bray. Parfois, d’une foulée large et puissante, ses bottes de caoutchouc enjambent un tronc couché par les bûcherons.
Souvent l’homme se retourne au soleil levant et, en plissant les ses yeux gris, détaille la silhouette massive de sa demeure ancestrale. L’architecture est simple : le corps central est entouré de deux pavillons cubiques, l’escalier d’honneur conduit à une terrasse sur laquelle ouvrent les pièces du bas. A l’étage, les fenêtres de huit chambres devenues inutiles regardent au loin les brouillards mouillés de la campagne picarde. L’allure de l’ensemble est modeste et fier. Pourtant la toiture grise et moussue part en lambeaux par endroits. L’air marin ronge la pierre. L’humidité ruissèle de partout. N’importe qui abandonnerait la partie ou, pire encore, organiserait des visites touristiques pour renflouer les caisses. Mais Jean de Sauveterre est enraciné dans la propriété familiale. Lorsqu’on descend de la branche d’un ancêtre qui commanda à Fontenoy, on ne lâche rien !
Les créanciers ne le lâchent pas, eux non plus. Pires que des chiens. Il a du jeter dehors son tailleur, se fâcher avec son notaire, tricher avec le fisc. Il se battra jusqu’au bout. Seul, mais il se battra.