Une rencontre en chemin
14 mai, 2010J’ai rencontré mon pépé sur le chemin. Il partait juste au moment où j’arrivais. Nous avons pris le temps de prendre un verre pour discuter un peu. Il avait l’air soulagé de partir. Il me dit qu’il avait eu une existence passionnante mais qu’à quatre-vingt cinq ans, ça allait bien comme ça et qu’il aspirait au repos éternel.
Pépé chercha à me rassurer : ma famille était respectable. Sa fille, ma mère, avait été élevée dans les principes libertaires que Pépé avait vaillamment défendus en mai 68. Mais, pour autant, elle avait les pieds sur terre. La seule chose qu’il ait à lui reprocher c’est d’avoir épousé un invertébré. Le mollusque en question était mon père sur lequel Pépé ne se répandait pas en louanges et n’entretenait aucune illusion. Mon père, selon lui, était un de ces jeunes blancs-becs comme on les veut et comme on les forme aujourd’hui dans les écoles de management : les yeux rivés sur la courbe de leurs ventes et leur trajectoire de carrière. Leur religion était celle de la réussite professionnelle, les patrons étaient leurs grands prêtres. Les fidèles leur vouaient une admiration divine et grotesque jusqu’à travailler pour eux le week-end et les jours fériés. Pépé s’étonnait même que Papa ait pris le temps de faire un bébé à Maman.
Je lui répondis que tout cela ne me rassurait pas tellement. Mais il savait être convaincant, Pépé. Pour lui, la vie familiale était désormais un épisode anecdotique. L’essentiel se déroulait en dehors des jupes de Maman que je n’avais, soit dit en passant, même pas encore côtoyé.
Il parait qu’il faut commencer par l’école. Pépé rigola : je n’aimerai sûrement pas l’école comme lui. Ou alors si j’aimais, il se ferait du souci. Aussi me conseilla-t-il de prendre la chose avec un certain détachement. Il me vanta longuement son passé scolaire, ses notes catastrophiques, son goût pour les bonnes blagues, la première cigarette qu’il fuma dans les WC du lycée pour marquer sa révolte d’adolescent. Tout ça au final, n’avait guère d’importance, selon lui.