Archive pour le 12 mai, 2010

Un état désespéré.

12 mai, 2010

Le professeur Maurice était surnommé Nimbus par ses internes en raison des derniers cheveux blancs qui se dressaient, indisciplinés et rebelles à tout arrangement capillaire, sur son crâne dégarni et luisant. 

 Ce jour là, le cas que le célèbre psychiatre avait devant lui le désarmait. L’homme distingué, élégamment vêtu d’un complet de confection gris sur une chemise vert d’eau harmonieusement cravatée, avait l’air au mieux de sa forme. Mais armé de vingt ans d’expérience médicale, le professeur Maurice savait qu’il ne fallait pas se fier à cette apparence. 

Norbert s’avérait en effet un père et un époux modèle. Il n’avait jamais manqué une seule réunion de parents d’élèves durant la scolarité de ses deux filles en prétextant des rendez-vous professionnels qui se finissent tard en soirée ! Les voisins s’étaient plaints : un tel exemple nuisait gravement à leur tranquillité d’esprit. Aucun parent d’élève normalement constitué, vivant dans le quartier de Norbert, n’avait la moindre envie de s’intéresser à des points considérés comme fondamentaux par le corps enseignant comme celui d’établir le moment opportun où il convenait d’aborder le subjonctif en classe de grammaire. Norbert présentait là une difficulté préoccupante à bien saisir l’aspect futile de certaines controverses corporatistes qui inquiétait le professeur Maurice à propos de son cas. 

Norbert regardait le psychiatre et le psychiatre regardait Norbert le regarder. Rien dans l’attitude de son patient ne traduisait une quelconque anxiété, ni même la plus légère inquiétude. Le regard droit, le sourire franc, Norbert n’était nullement agité de ces tics nerveux qui laissaient deviner un malaise chez les patients habituels de Nimbus. Il ne triturait pas le bout de sa cravate  assortie à sa chemise ;  il ne passait pas la main dans ses cheveux argentés soigneusement peignés sur le coté ; il ne se tordait même pas les doigts qu’il avait longs et soignés. De plus, son discours était parfaitement compréhensible et cohérent. Il ne disait pas à tout bout de champ : « C’est clair ! ».

(suite…)