Une histoire très morale de pépé Marcel
8 mai, 2010Marie, Jérémy et Jonathan se sont assis sur le parquet, autour du fauteuil de pépé Marcel. Ils aiment bien pépé Marcel. Avec ses cheveux blancs qui partent dans tous les sens et sa petite lueur malicieuse au coin des yeux, il est rigolo, pépé Marcel. Et puis, il raconte bien. Parfois, il s’embrouille un peu ou bien il se trompe, souvent il emploie des mots compliqués que Marie, Jérémy et Jonathan ne comprennent pas du haut de leurs dix ans, mais il y met une telle conviction qu’il en est comique. Les enfants adorent surtout que pépé relate les histoires du temps où il était fonctionnaire.
- Du temps où j’étais fonctionnaire…
Ça y est, il est parti, le pépé. Chacun se cale sur un coussin, ça a l’air intéressant !
- Du temps où j’étais fonctionnaire, vers les années 2000, personne ne travaillait beaucoup. L’essentiel était de faire croire qu’on était indispensable !
Au début du siècle, en effet, l’atmosphère dans les bureaux de l’Etat était assez particulière. Les hommes et les femmes de ce temps là étaient pressés de grimper dans la hiérarchie pour accéder à plus de pouvoir et de considération. Pour avoir une chance, il fallait donc se faire bien voir des chefs pour devenir encore plus chef que ces derniers ! Le problème était que, très absorbés par le temps qu’ils consacraient à courtiser assidûment leurs supérieurs, les fonctionnaires n’avaient pas vraiment le loisir – si l’on ose dire – de travailler. Chacun devait donc élaborer des stratagèmes habiles pour faire croire qu’il assumait avec énergie et constance de très lourdes responsabilités.
Pris dans cet engrenage infernal, les fonctionnaires avaient donc inventé des mots ou des expressions qui leur permettaient de dire qu’ils abattaient un ouvrage considérable tout en ne faisant rien ou presque :
- Je n’ai pas le temps… Plus tard !… Plus tard !
- J’ai des dossiers très lourds…
- En ce moment, je ne touche plus terre !…
- Le patron m’a confié une affaire stratégique…
- Je viens de voir le patron… Figurez vous qu’il m’a dit que…