Têtue comme une mule
14 mars, 2010Le baron Dubois-Martin était un escroc, j’en étais sûre. Mon souci c’était qu’il était secrètement amoureux de Mademoiselle Clémentine et quand on sait que le père de cette dernière est juge au Tribunal, je vous laisse deviner les risques d’esclandre dans le beau monde que présentait une situation aussi scandaleuse.
Au début, je pensais que, pour un aventurier, le baron ne se montrait guère téméraire en amour. Je me souviens que le jour du 15 août, lors d’une ballade en landau au bois de Boulogne avec Mademoiselle Clémentine, il a péroré tout au long du chemin, en faisant de grands gestes, saluant les uns et les autres sans discrétion, commentant sévèrement les accoutrements des hommes ou des femmes qu’il ne jugeait pas conformes aux derniers canons de la mode, ou bien encore attirant l’attention de sa compagne sur tel ou tel détail du paysage qu’il jugeait intéressant ou comique. Sa fatuité suintait de son attitude à chaque moment de la promenade sauf pour Mademoiselle Clémentine qui ne s’apercevait de rien et qui, mollement allongée dans le fond de la voiture, s’esclaffait à chacun des mots de l’arrogant.
Pourtant, par un chaud soleil d’été, Mademoiselle Clémentine était éclatante de beauté dans sa jolie robe rose et son ombrelle assortie. Avec ses petits yeux qui se plissaient gaiement quand elle souriait, elle se montrait séduisante et attentive aux plaisanteries de son galant. Mais je sentais bien qu’elle était déçue que ce grand garçon fier et hâbleur ne se décidât pas à aborder le chapitre des sentiments qui la préoccupait fortement.
En chemin, je m’en suis entretenu avec Gaspard. Le vieux Gaspard, comme d’ordinaire, a marmonné et ronchonné quelque chose d’inintelligible dans sa barbe. En langage « Gaspard », je sais que ça veut dire : « Laisse tomber et mêle toi de tes oignons ».