Archive pour février, 2010

Les révolutionnaires

18 février, 2010

-          Libres et égaux en droits ! Tu parles !

Gérard vient de s’essuyer les lèvres d’un furtif revers de manche. La bière de Marcel est tiède, mais il s’en contentera. Vautré sur le fauteuil de velours vert, il allonge ses jambes en maugréant. Décidemment, la société marche sur la tête, il en a la conviction. D’ailleurs, il peut donner un exemple. Il s’adresse à ses trois compères qui suivent plus ou moins attentivement le cheminement de sa pensée :

-          Vous croyez vraiment que la caissière de supermarché a les mêmes droits que la Ministre de l’Economie ? Hmm ?

Non, les trois autres ne croient pas. Ils sont tout à fait d’accord avec Gérard sur ce point essentiel. Gérard se gratte vigoureusement le nombril de contentement à travers sa chemise qui le boudine curieusement puis lisse sa moustache droite de son index gauche par un geste familier.

Marcel s’agite en jetant un regard anxieux à sa montre. C’est un grand gaillard aux épaules larges, son regard gris est souligné de rides élégantes aux coins des yeux. Marcel a blanchi sous le harnais mais son allure reste vive et son geste adroit.

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Prix de boissons

17 février, 2010

Marina aimait se promener sur la plage, dès le lever du soleil, pour prendre un grand bol d’air frais.

Sur le chemin du retour, elle s’arrêtait au comptoir de Fernand qui lui servait son petit café noir.

Ce jour là, Fernand commentait les résultats sportifs du week-end ; l’OM avait bu le calice jusqu’à la lie.

Attablé dans la salle, Victor, un supporter du PSG, buvait du petit lait.

Mais le foot n’était pas la tasse de thé de Marina. Elle écrivait un roman policier.

Son intrigue se déroulait dans le milieu politique : un jeune député de gauche, nommé dans un gouvernement de droite venait de boire le bouillon de onze heures.

Il était allé à la soupe après les élections. Etait-ce le mobile du crime ?

Marina ne savait comment dénouer son intrigue : mais quand le vin est tiré, il faut le boire !

Un petit déjeuner divin

16 février, 2010

Sur les hauteurs de l’Olympe, les dieux s’ennuient. En ce printemps naissant, on voit parfois les divinités déambuler dans les champs en bavardant par groupe de deux ou trois. Ils parlent du temps, de la saison, du passage des nuages. Ils n’ont plus beaucoup de conversation nos Dieux, depuis si longtemps! Parfois, ils croisent un berger maussade et quelques moutons bêlant qui paissent dans les alpages, indifférents et sereins.

Un constat s’impose : les dieux de l’Olympe sont en crise. Plus personne ne croit en eux dans ce bas monde, c’est-à-dire dans ce monde qui s’étale là, en bas de la montagne. Aux dernières nouvelles, il subsisterait une religion polythéiste qui réunirait vingt deux ou vingt trois adeptes. Pour le vingt troisième, des vérifications sont en cours : il semblerait que l’impétrant ait confondu l’Olympe et l’Olympique de Marseille.

Grâce à leur expérience, les plus anciens de cette collectivité trouvent encore une occupation. Ariès, le dieu de la guerre, réussit à entretenir quelques conflits armés entre peuplades reculées. Dyonisos, le maître absolu du vin, défend son produit avec âpreté en dépit de la concurrence du cartel des eaux minérales. Poséidon a réussi un très joli coup en déclenchant un tsunami récent et quelques tempêtes océanes dont les humains se souviendront. Mais globalement, c’est le désoeuvrement qui gagne le pays des dieux puisque les hommes n’ont plus foi en leur existence.

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Une aventure de la Marquise

15 février, 2010

La Marquise se rend au marché pour acheter son dessert.

Elle s’étonne de l’affluence ! Le peuple ne s’écarte pas à son passage.

Elle est même frôlée par des gueux qui ne prêtent aucune attention à sa personne.

Il faudra qu’elle change rapidement de vêtements pour ne pas être contaminée par la gale !

Elle interpelle une passante pour exiger une révérence : la femme feint de se tamponner le front de son index avec véhémence.

Soudain, la Marquise aperçoit une barquette de fraises à l’aspect particulièrement juteux sur un étal.

Elle hèle le jeune paysan qui se tient à quelques pas :

-          Holà ! Manant !

Le jeune homme, sans doute peu au fait des usages de la Cour, s’approche et répond qu’il ne s’appelle pas Manant mais Jérémy Dubois.

La Marquise lui fait néanmoins part de son désir pour les fruits rouges si appétissants qu’elle vient d’apercevoir.

Jérémy Dubois fixe son prix. La Marquise se récrie : trois euros ! Et pourquoi pas trois louis d’or pendant qu’on y est !

Ce chenapan devrait payer pour avoir l’honneur de destiner sa production à la table royale !

La Marquise désigne le jeune homme du doigt et clame ses ordres :

-          Holà ! Mes gens ! Emparez-vous de cet insolent ! Qu’on le mène au cachot !

Aucun hallebardier ne répond à son injonction, par contre vingt quatre CRS musclés jaillissent d’un car appelé en renfort.

La Marquise s’éveille en sursaut : elle vient de faire un mauvais rêve qui l’a transportée dans un autre temps, trois siècles plus tard !

Voilà où l’a conduite son goût excessif pour les fraises !

Monsieur l’Abbé avait bien raison : la gourmandise est un bien vilain péché !

Un auteur embarrassé

14 février, 2010

Marcel Douteux est l’auteur à succès que tout le monde connaît. « Week-end prolongé jusqu’au samedi », c’est lui. « Rendez-vous au rayon des conserves », c’est encore lui. « Quand passent les serpillières », c’est toujours le même. Mais aujourd’hui, il est en panne d’inspiration, Marcel. D’abord, il ne s’appelle pas Douteux. Ce pseudonyme flattait son goût pour l’autodérision au début de sa carrière. Mais aujourd’hui qu’il nage en plein doute, il voudrait changer. L’éditeur Alfred Mortimer n’est pas du tout d’accord, mais alors pas du tout. Il a investi un fric fou sur le nom de Douteux, il ne va tout de même modifier sa stratégie commerciale maintenant. Au lieu de se mêler d’affaires sérieuses, l’auteur ferait mieux de s’activer pour finir son prochain roman dont il n’a pas encore trouvé le sujet.

Marcel ne manque pourtant pas d’imagination. Ses poches débordent de petits papiers mystérieux où il a noté les idées qui lui viennent n’importe quand, n’importe où. Mais il n’arrive plus à les développer.

S’il écrit dans l’imaginaire, Mortimer lui répond que personne n’y comprend rien. Il lui faut du concret à Mortimer, rien que du concret !

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Foi dans le cachet de la poste

13 février, 2010

Maxence était maire de son village.

Il avait une grande fierté de sa poste à laquelle il trouvait du cachet.

Marcel qui distribuait le courrier était parfois un facteur de trouble.

Il était un peu timbré,

D’après les médecins, il était recommandé de ne pas le contrarier.

Il passait souvent au Bar des Amis pour offrir sa tournée

Aux joueurs de cartes entre deux levées,

Mais aussi aux chômeurs dont il connaissait l’adresse.

Le village de Maxence garderait son postier, il l’affirmait à tous ses correspondants.
Pour lui, ça ne faisait pas un pli.

C’est une résolution qu’il appliquerait à la lettre.

Larguez les amarres!

12 février, 2010

Il était gentil, mais n’aimait pas être mené en bateau.

Dans son supermarché, il était chef de gondole.

Il s’ennuyait à mourir, prêt à sombrer dans le jeu et l’alcool.

Il mangeait toute la journée des noix, son rayon était donc parsemé de coquilles de noix.

Parfois, il ouvrait les barquettes de fruits qu’il était chargé de vendre.

Bref, pour lui cette vie était une vraie galère.

Souvent, pour s’occuper, il admirait la longueur de ses pieds, longs comme des péniches.

Sans complaisance, il se dit qu’il était mal embarqué dans l’existence,

Qu’il ne pouvait pas continuer à naviguer à vue,

Et qu’il n’allait pas tarder à mettre les voiles

Travailler plus…. (bis repetita)

11 février, 2010

Sur la planète Zénon, tout était en ordre. La société y était divisée en dix classes. La classe 10 était composée d’un nombre restreint de personnes qui élisaient parmi elles le Numéro 11. Celui-ci devenait le seul maître à bord. Même Dieu ne lui disputait pas le titre puisque la seule Foi admise sur Zénon était la Croyance dans la vertu de l’Autorité. Les numéros 10 commandaient aux numéros 9 qui donnaient des ordres aux numéros 8 et ainsi de suite…. Plus on descendait dans la hiérarchie, plus il convenait que les gens travaillent longtemps d’abord pour assurer la survie de la collectivité et ensuite pour qu’ils n’aient pas le temps de réfléchir, ce qui aurait présenté le risque immédiat d’une remise en cause de l’ordre établi.

Dans cette société, la caste de savants avait un statut particulier qui les tenait à l’écart de la pyramide sociale. Les experts de Zénon avaient fortement progressé dans leur connaissance de l’univers jusqu’à découvrir une planète éloignée, strictement semblable à la leur : la Terre. La composition chimique du sol et celle de l’atmosphère étaient strictement identiques. Le climat s’apparentait également à celui que les habitants de Zénon connaissaient. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les savants de Zénon découvrirent que les Terriens étaient structurés comme leur congénères et qu’apparemment, ils avaient les mêmes conditions de vie. Apparemment seulement, car il existait une différence de taille.

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La fête des fruits

10 février, 2010

C’est une grande réunion mondaine, tout le gratin est là.

L’une des invitées s’amuse à jouer des tours aux autres : c’est la farce de la Tomate.

Une autre se terre dans son coin, muette : la Banane s’écrase,

Tandis que sa consoeur ne se prive pas de se faire remarquer : la Fraise la ramène.

Une jeune personne fait admirer ses coups de soleil : c’est l’Orange. Mais elle pèle.

Une convive n’est pas contente. On l’a confondu avec une autre. Il ne faut pas la prendre pour une Poire.

Plus loin, un individu est venu avec tous ses garçons : ce sont les fils du Haricot.

Une drôle de zèbre se pavane, il est au courant de tous les potins : le Citron est au jus.

Le dessert arrive. Par mégarde quelqu’un s’assied dessus : c’est la Cerise sur le gâteau.

Les malheurs de Ginette

9 février, 2010

Je lui ouvre ma porte au troisième coup de sonnette. Un chignon gris posé de guingois sur une tête en forme de poire, un regard dur à travers des lunettes à montures rafistolées, des joues tombantes et rougies par un maquillage excessif, je sens tout du suite que je ne vais pas rigoler.

- C’est pour un sondage !

Je m’en doutais un peu. Elle installe son micro-ordinateur, avec un air dégoûté, entre les miettes du petit déjeuner, sur la toile cirée de la table de cuisine. Elle se contorsionne à la recherche d’une prise électrique. Je me baisse galamment pour débrancher la cafetière électrique et lui laisser la place.

Tout en regardant son écran, elle marmonne :

-          Quelle est votre tranche d’âge ?

Je n’ai pas vraiment l’habitude de découper mon âge en tranches. J’essaie de vivre mon existence dans la continuité. Elle reprend patiemment comme avec un enfant :

-          Quel âge avez-vous ?

(suite…)

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