Être amoureux au cinquième millénaire
4 février, 2010Le 15 décembre 4098, Jean 56436 sortit de la villa dans laquelle il vivait agréablement avec Jenny 98321 au bord du lac sur lequel il aimait à canoter aux beaux jours. Sa tunique rouge vif le désignait comme appartenant à la classe enviée des Performants. Elle moulait à merveille ses pectoraux et sa taille fine, attributs virils qu’il entretenait savamment et quotidiennement dans la salle de sport municipale. Au classement mensuel des citoyens, il occupait régulièrement l’une des cinq mille premières places qui déterminaient l’appartenance de leurs titulaires à la dignité des Performants.
Ce jour-là Jean se disait qu’il devait faire attention : il avait perdu dix rangs en un trimestre et se trouvait désormais quatre mille trois cent troisième. Ses relevés de notes montraient une baisse dans le domaine de la consommation. C’est qu’il fallait être un consommateur très attentif pour être considéré comme un bon citoyen. Cette matière était dotée d’un fort coefficient : la régulation de l’économie nationale en dépendait. Pendant ces dernières semaines, Jean avait su se rattraper dans d’autres domaines. En effet, pour arborer le célèbre uniforme écarlate, il était nécessaire d’être aussi un bon père de famille, un époux modèle, un amant attentionné, un sportif accompli et bien sûr un travailleur acharné, ne rechignant jamais devant quelques heures supplémentaires ou quelques week-ends studieux quand l’Autorité l’exigeait.
A son passif, Jean avait négligé la campagne publicitaire récente incitant à manger des fraises. Le gouvernement avait orchestrée cette promotion de façon à écouler la surproduction momentanée des maraîchers dont la production était excédentaire. Un décret avait été pris en Conseil des Ministres interdisant d’être allergique aux fraises ! La répulsion de Jean pour ce fruit avait été immédiatement remarquée en haut lieu et cela lui avait coûté une rétrogradation significative au Grand Classement des Citoyens.