Archive pour janvier, 2010

Mes trois jours

21 janvier, 2010

Le curé psalmodie. Au lieu de suivre la messe, j’ai l’esprit qui vagabonde. Je m’attache aux détails : un enfant de chœur qui baille, la tante Marthe qui bavarde derrière moi. Je jette un œil sur le coté : Marine a l’air, elle, concentrée. Elle est prise dans une merveilleuse robe blanche. J’ai un peu de vague à l’âme en me souvenant de son prix, mais je me sermonne : ce n’est quand même pas le moment de ressasser mes relevés bancaires. Je fixe mon attention  sur celle qui va être ma femme. Je crois que j’ai bien choisi : physiquement, elle est charmante, je dirais même troublante. Son regard sombre se pose paisiblement sur les êtres, doux, délicieux et parfois malicieux. Son visage, ouvert à la vie, respire le bonheur. Notre connivence a été évidente et immédiate. Nous nous comprenons bien, nous nous entendons merveilleusement. Par contre, je ne comprends pas très bien pourquoi l’Eglise tolère des robes aussi largement décolletées : celle qu’a choisie Marine est particulièrement sexy en dépit ou à cause de sa simplicité. Je me reprends, ce n’est peut-être pas le lieu d’avoir des pensées érotiques.

Le prêtre se tourne vers nous : c’est le moment d’échanger nos vœux. Il unit le troisième couple du week-end, une légère fatigue voile sa voix. Je n’ai jamais été très doué pour parler de sentiments, d’amour et d’éternité. Marine, non plus, d’ailleurs. Nous avons bataillé pour écrire quelque chose de particulièrement mièvre. Je récite mon texte avec beaucoup de peine dans le micro tendu par un enfant de chœur, qui me semble-t-il, me regarde ironiquement. J’espère que ce morceau de bravoure passera pour un moment attendrissant par sa maladresse même.

Vient le moment fatidique du passage des anneaux. La seule chose intéressante que j’ai retenue de la préparation, c’est le symbolisme de l’anneau qui n’a ni début, ni fin. C’est obsédant un truc sans commencement ni terminaison. Je n’avais jamais vraiment réfléchi à l’aspect éternel du cercle. Toute sortes idées me traversent l’esprit : le gag des anneaux oubliés par les témoins, par exemple. J’ai envie de rire. Mais Eric, mon témoin est là. Il sort, ravi, les anneaux de sa poche et les dépose sur le plateau d’argent. Il n’ y a même plus le moyen de s’amuser.

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Morceaux de vie

20 janvier, 2010

Henri avait été blessé à la guerre par un éclat d’obus avant d’être rapatrié.

Malgré son engagement dans l’armée, il montrait encore un reste d’humanité.

Souvent, il aimait à entendre son morceau de musique préféré avec un brin de nostalgie,

En sirotant un Coca agrémenté d’un zeste de citron.

Lorsqu’il était installé dans son fauteuil pour l’apéritif, son chat quémandait une rondelle de saucisson.

Son perroquet posé sur son épaule se contentait de miettes de pain.

Il n’aura jamais de médaille ; voilà longtemps qu’il avait renoncé à sa part du gâteau.

Il n’aura pas non plus d’avancement. A quoi bon, ce n’était que quelques bouts de ficelle sur ses épaulettes.

Il lui restait une particule devant son nom qui lui venait de ses aïeux.

De la mauvaise influence des films d’horreur à la télévision.

19 janvier, 2010

Je viens de fêter mon premier anniversaire avec les copains. Je suis un chat de gouttière, d’un doux pelage noir et blanc. Si j’en crois la famille Dumortier qui m’accueille, ma petite personne est considérée comme plutôt mignonne.

 Les Dumortier ont emménagé dans un lotissement de banlieue, voilà un mois. Corrects avec moi les Dumortier : la gamelle est remplie régulièrement. J’ai mes coins pour dormir. L’ambiance est familiale et décontractée. En échange, je joue mon rôle de chat, courant après les ficelles que les enfants font frétiller,  tournoyant sur moi-même pour attraper ma queue, et puis, roulé en boule,  ronronnant sur les genoux de Madame Dumortier. Je ronronne très bien. Il parait que les humains n’ont pas encore compris comment nous arrivons à ronronner. C’est sans doute la raison pour laquelle ils adorent que nous le fassions, ils affirment que ce bruit a des vertus très relaxantes pour eux. En tous cas, ça marche très fort avec Marie Dumortier qui devient toute douce en me caressant longuement lorsque je mets le moteur en marche.

Le plus difficile est de se faire sa place dans le voisinage. Les Dumortier sont propriétaires d’un petit terrain de 500m². Enfin, c’est une évaluation à vue de moustaches, je n’ai pas été voir les plans. Quoiqu’il en soit, j’ai bien l’intention que cet espace soit le mien.

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L’habit ne fait pas le moine (titre tiré par les cheveux!)

18 janvier, 2010

En sortant de la ville, Georges, marchant sur les mains, emprunta le boulevard de ceinture.

Puis il quitta la bretelle de l’autoroute,

Et il attaqua la montée du Col,

Malgré la neige qui étendait son blanc manteau.

C’était une autre paire de manches!

A mi-course, il subit un premier revers : sous le coup de la fatigue, il dut s’arrêter.

Sa reprise fut foudroyante.

Car c’était un athlète complet.

En dépit de ses boutons d’acné qui le défiguraient,

Il était sûr que son odyssée ferait la manchette des journaux,

Et de s’en mettre plein les poches.

Nous deux

17 janvier, 2010

J’ai passé des années à traquer l’individu qui est en moi et je l’ai trouvé. J’aurais peut-être mieux fait de ne pas me chercher : je ne me lâche plus les baskets, je me colle à la peau. Et pourtant, je ne suis pas satisfait de moi-même. Parfois, je pense que je ne m’habite pas, je me hante. En un mot, la cohabitation n’est pas simple : je me pose beaucoup de problèmes, mais je me trouve aussi quelques raisons de me vivre.

Avec les autres je ne suis guère bavard, je ne suis loquace qu’avec moi. Alors là, par contre, je m’en raconte ! Mes conversations commencent dès la douche du matin : je m’exprime mes sentiments, je me donne mon avis, je me réprimande pour mes maladresses, je me console, je me rudoie, je me dis que je n’ai rien compris à ma vie. Toujours verbalement, à haute voix, pour que je me comprenne bien. Il n’y aura pas de non-dit entre nous. Je commence à me connaître, je ne dois me laisser me raconter des histoires.

J’ai tendance à ne pas beaucoup me préoccuper des autres, je manque de citoyenneté, je ne suis pas seul au monde que diable ! Lors du trajet automobile qui me conduit au bureau, le ton monte. Je pourrais quand même prendre le bus au lieu de contribuer à la pollution terrestre. Si  j’étais les forces de l’ordre, je me pénaliserais sévèrement. Je m’admoneste en me montrant du doigt. Je croise des regards d’automobilistes inquiets. Dans l’ascenseur, je me force à engager la conversation avec mes voisins au lieu de regarder benoîtement le bout de mes chaussures que j’ai généralement oublié de cirer.

-          Beau temps, aujourd’hui ! fais-je d’un ton convivial

Parfois, je réussis à nouer une conversation météorologique de qualité, mais souvent, les mines consternées de mes interlocuteurs me laissent penser qu’ils ont, eux aussi, des difficultés à gérer leur ego.

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Au théatre, ce soir.

16 janvier, 2010

Dès les premières lueurs de l’aube, elle s’était longuement maquillée.

Puis, elle lui avait adressé une pluie de reproches lors d’une véritable scène.

Elle avait détaillé un par un tous ses actes répréhensibles sans lui laisser le temps de souffler.

Aucune réplique ne lui venait à l’esprit.

Il détestait ce genre de comédie.

Aussi il lui donna trois coups de pied,

Tira le rideau de la fenêtre du balcon et éteint les lumières,

Avant de sortir dans le jardin,                      

Et d’être interpellé par le brigadier,  prévenu par les voisins.

 

Dans ses meubles…

15 janvier, 2010

Max était un type fort, bâti comme une armoire à glace.

Il ne fallait pas lui chercher querelle : il n’était pas très commode.

Dans sa vingtième année, il s’était marié avec Anne, une bergère de son village natal.

De ce lit, naquit Auguste, leur garçon.

Anne et Max avaient de nombreux amis et recevaient beaucoup :  ils tenaient table ouverte.

L’été, ils organisaient souvent des buffets dans leur jardin.

Anne aimait l’informatique : on la trouvait toujours derrière son pupitre.

Vers quarante ans, Max brigua le fauteuil de Directeur Général de son entreprise.

Mais les places étaient chères : un vrai jeu de chaises musicales.

Malheureusement, il fut mis dans un placard.

Ce fut un choc : comme pour un boxeur qui va au tapis.

Max se reconvertit dans la restauration de mobilier ancien.

Le bal des lieux communs.

14 janvier, 2010

Le Stade trépigne, gronde, s’enflamme. L’équipe locale de foot domine tous ses adversaires. Va-t-elle emporter le championnat ? Depuis l’arrivée du nouvel entraîneur, elle remonte au classement. Dans la tribune on exulte. Les hommes, engoncés dans les grosses canadiennes lorsqu’il fait froid, y vivent au coude à coude l’aventure de leurs semaines grises. On joue à guichets fermés ! Le Stade chavire de bonheur. Le Stade s’embrasse lui-même.

L’Eglise du père Renaud est attirante. Les fidèles y accourent de toute la paroisse, de plus en plus nombreux. Pourtant, l’Eglise retentit des prêches péremptoires et redoutés du père Renaud qui dénonce sans faiblesse les péchés de ses ouailles. Mais, sous ses voûtes séculaires, l’Eglise a pris un coup de jeune. Le père Renaud a su s’adapter aux mœurs de son époque. Il célèbre ses offices au son des guitares électriques pour intéresser les adolescents du quartier. L’Eglise s’est entendue avec le Stade pour harmoniser leurs calendriers. Grâce à l’énergie du père Renaud, L’Eglise est devenue communicante !

Le Bistrot du père Louis ne désemplit pas. Les piliers de la salle se confondent avec les habitués. Les filles y sont faciles, les fins de nuit plus difficiles. Jeannot, Marcel, Paulo et les autres y tiennent table ouverte jusqu’au matin. Lorsqu’à l’aube, les silhouettes voûtées ou chancelantes s’estompent dans le brouillard visqueux, le Bistrot du père Louis s’éteint pour mieux renaître au crépuscule. Le Bistrot du père Louis ne dansera pas avec l’Eglise du père Renaud, le Bistrot du père Louis est un lieu canaille !

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Hésitations

13 janvier, 2010

Pendant l’hiver, Georges était forgeron : il excellait dans le maniement du marteau et de l’enclume.

Parfois, il exerçait aussi la profession de menuisier, connu pour la robustesse de ses chaises.

 Il proposait à ses clients deux types de chaises entre les quelles ils hésitaient longuement.

L’été, il se faisait bucheron. Il partait de chez lui, sa cognée sur l’épaule, jusqu’à l’orée de la forêt.

A la croisée des chemins, il prenait tantôt à droite, tantôt à gauche.

Il emportait une gourde de vin qu’il rapportait le soir,  à moitié vide ou à moitié pleine, c’était  selon.

Un jour, il tomba malade. Le médecin hésita longuement entre la peste et le choléra.

Il choisit le moindre des maux en recommandant à Georges de se tenir au chaud.

Georges alluma donc une flambée dans chacune de ses deux cheminées.

C’est ainsi qu’il se trouva agréablement pris entre deux feux.

Hors d’atteinte

12 janvier, 2010

L’Homme vit dans cette chambre depuis un temps indéterminé. A la longueur de sa barbe naissante dans laquelle sa main fourrage toutes les cinq minutes, il pense qu’il est là depuis au moins quatre jours. Allongé sur le lit qui occupe presque toute la pièce, il fixe encore une fois la tapisserie : les motifs tarabiscotés se contorsionnent sur un fond jaune pisseux déchiré ou décollé par endroits. Seule une lueur livide tombant du vasistas lui laisse deviner le jour ou la nuit. Il est prisonnier sous un toit, c’est tout ce qu’il sait.

Ses repas lui sont servis par une espèce de trappe ménagée au bas de la porte, sans un mot, sans un bruit si ce n’est le glissement furtif du plateau sur le parquet. Il ne peut même pas se plaindre d’être maltraité : la nourriture s’avère variée et suffisante, probablement en provenance d’un bistrot voisin. 

Il n’a vu son geôlier qu’une seule fois : le premier jour. L’individu cagoulé est entré brusquement dans la chambre. Sa silhouette massive s’est postée au pied du lit. Ses prunelles luisantes l’ont longuement dévisagé sans parler. Puis, il s’est retiré. La clé a tourné dans la serrure. Plus rien. Le silence.

Depuis, l’Homme ne sait plus quand il dort, quand il pense, quand il ne fait rien. Un minuscule cagibi est doté d’un lavabo qui délivre péniblement un mince filet d’eau et lui donne un alibi pour se lever de temps à autre.

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