Archive pour janvier, 2010

Jugement dernier

31 janvier, 2010

L’acte d’accusation était copieux, il allait passer un mauvais quart d’heure, Paul Augustin le savait. Le doigt vengeur, pointé vers lui, l’avait d’abord sévèrement admonesté pour sa gourmandise. Paul reconnut bien volontiers les deux choux à la crème qu’il allait acheter chez Madame Poisson, la boulangère du quartier.

-« C’est tout de même pas bien grave… »

Eh ! bien si apparemment pour le Maître du Jugement Dernier, c’était grave.

-« A 75 ans, on se dispense de ces gourmandises de gamin !! », tonna la Divinité Suprême.

Paul essayait de prendre l’air dégagé, mais il ne se sentait pas spécialement à l’aise dans ce Tribunal Céleste. Il n’aurait pas imaginé que ses faits et gestes terrestres fussent à ce point épiés. On pouvait même se demander si les Renseignements Généraux n’étaient pas dans le coup. Paul sentit que ce n’était pas vraiment le moment de poser ce type de question.

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A notre rayon fromagerie

30 janvier, 2010

Le joueur de rugby s’appelle Roque.
Roque, fort comme un turc, ne s’en laisse pas compter.

Lorsqu’il fonce, ses adversaires se mettent à l’abri.

Il est bien secondé par Tom venu de Savoie.

Tom est natif du village d’Aime.

Ce n’est pas un bleu, non plus ! Ni une chèvre !
A Aime, on a du mental !

Pour s’entraîner les deux sportifs s’exercent à pousser de lourds engins de chantier.

Avant-hier, ils ont bousculé un rouleau compresseur à mains nues, puis une grue, hier.

Ils ne se droguent pas : ils ne prennent jamais de came en verres. Ni autrement.

Aujourd’hui ils ont laminés les petits suisses.

Puis ils ont regardé un destin animé anglais : « Nessie, The Lochness Munster ».

Traitement de texte

29 janvier, 2010

 

La police l’interrogea longuement après avoir enregistré son empreinte.

Elle avait l’habitude des caractères spéciaux.

Il commença par décliner son nom en précisant qu’il fallait l’écrire en majuscules,

Et faire attention : il doit toujours jouer du correcteur d’orthographe.

Il dut justifier sa présence non loin des lieux de l’évènement.

En parlant, il remarquait que l’inspecteur était plutôt gras.

Il lui conseilla un régime pour améliorer sa mise en forme.

Le policier n’était pas d’un format à se laisser impressionner.

Il s’empressa de lui souligner son indifférence à son opinion.

L’homme eut alors un mouvement de retrait.

Puisqu’on le prenait ainsi, il ne donnerait pas de nom : ce n’était pas son style.

Ensuite, il dénoncerait ces méthodes dans le livre qu’il projette de sortir chez son éditeur.

Douze ans après

28 janvier, 2010

Demain, je me lèverai tôt. Je me préparerai calmement. Ma vie va connaître un grand changement, mais ce n’est pas une raison pour m’affoler. Au contraire.

Je commencerai par m’asseoir dans un bistrot. L’heure sera matinale. Les serveurs remettront à leurs places les guéridons qu’ils auront empilés l’un sur l’autre, la veille. Le percolateur sifflera bruyamment. Le patron, en manches de chemise, terminera sa vaisselle tout en servant les premiers déjeuners. Et puis les habitués arriveront, les uns expédiant rapidement leur premier café, les autres étalant le quotidien pour l’étude sacrée du tiercé. Quelques uns commenceront leur journée seuls, attablés à l’écart dans un tête à tête pathétique avec le ballon de rouge que le garçon, habitué à la commande, viendra de déposer devant eux, sans mot dire. Moi, je demanderai un café crème avec un croissant. Pour la première fois depuis bien longtemps, je commanderai quelque chose.

Puis, je ferai un tour dans les rues. Rien n’aura changé : les éboueurs s’agiteront autour de leurs camions, les flics régleront les flux de circulation, les touristes photographieront et les facteurs pédaleront. Je patienterai à un arrêt de bus, n’importe lequel, de toutes façons je ne prendrai pas le bus. Ce sera juste pour regarder les gens, les femmes et leur élégance matinale, les hommes d’affaires et leurs téléphones mobiles, les jeunes et leurs cartables à la mode, les vieux et leurs cannes.

Vers dix heures, j’irai à la gare. Cette fois, je monterai dans un train de banlieue, pour rendre visite à mon père dans son pavillon. Pavillon est un grand mot, je devrais dire « masure ». La grille d’entrée sera rouillée et grinçante, la façade défraîchie, et la végétation n’aura toujours pas été entretenue. Près de la porte d’entrée, je ne serai pas surpris de trouver une carcasse de machine à laver ou un vieux siège de voiture défoncé.

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Déprime ordinale

27 janvier, 2010

A la cinquantaine, j’ai le moral dans le trente-sixième en dessous.

Au bureau, je suis mis en quarantaine.

Je ne participerai pas à la quinzaine commerciale.

J’écoute la neuvième symphonie pour me calmer.

Il est vrai que depuis la sixième, je me prenais pour la huitième merveille du monde.

Il faut que je parte en voyage en quatrième vitesse.

C’est la première chose à faire !

Je pourrais passer le quarante cinquième parallèle.

Ou alors faire la connaissance des quarantièmes rugissants.

Il faut que je me décide : plus une seconde à perdre !

La peste soit des avaricieux

26 janvier, 2010

Il y a trente ans, Joséphine Laflèche est arrivée en Métropole, venant de sa Martinique natale, entraînée par son amoureux Ernest Lafourrure. C’était l’époque de l’espoir. Gaie, éprise,  Joséphine trouvait la vie radieuse : tout lui paraissait possible.

En fait, tout s’est effondré. Après quelques années, Ernest Lafourrure qui passait ses soirées en salle de musculation est parti avec une jeunette, laissant Joséphine à la tête d’une famille de trois enfants à nourrir.

Elle a tout connu, Joséphine : le chômage, la galère, les petits boulot, les ménages… Aujourd’hui Joséphine a trouvé un job d’auxiliaire de vie : elle aide les personnes âgées à vivre … enfin ce qui leur reste de jours à vivre.

Elle les connaît bien les petits vieux : leur caractère ronchon, acariâtre, leur maniaquerie, leur amertume. Leur peur aussi. Quand on l’a envoyé chez Monsieur Arpagon, elle a tout de suite compris que ça serait difficile. Elle savait qu’Arpagon est un être avare, mesquin, sournois.

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La lettre R

25 janvier, 2010

Hermann était un pauvre hère.

Qui vivait en ermite sur une aire d’autoroute.

Parfois, il errait en ville.

Et revenait, éreinté jusqu’à sa couche.

A l’ère de l’auto, il marchait à pied,

En croyant respirer un air plus sain.

Il errait lourdement et s’en aperçu cruellement,

Lorsqu’il fut fauché par un engin agricole : une herse probablement.

L’agriculteur fut sauvé par son airbag.

Près de son tonneau, il érigea une stèle à la mémoire d’Hermann.

Le Noël de Marcel

24 janvier, 2010

Marcel s’est confortablement installé dans son fauteuil, déposant sa canne à portée de main. Il respire avec peine : les quelques pas dans les chemins environnants qu’il vient d’emprunter pour sa promenade l’ont fatigué. Mais les autres n’en sont pas sûrs : ils ont toujours le sentiment qu’il en rajoute un peu pour qu’on lui prête davantage d’attention. Ils savent que Marcel aime bien se plaindre. Lui, il affecte souvent de pendre un ton bourru tout en ayant beaucoup de cœur, il trouve que ça lui va bien.

Marcel passe les doigts sur sa moustache blanche, comme pour s’assurer de sa présence. Il a voulu laisser pousser cet ornement : il pense ainsi avoir l’air encore plus « grand-père ». Pour renforcer cette impression, il s’est affublé d’un pantalon de velours côtelé ancien, et d’un gilet d’une couleur indéfinissable, boutonné jusqu’au cou. Il a enfilé ses charentaises : elles ont perdu leur forme, elles sont même un peu trouées, mais il s’y sent à l’aise, comme chez lui.

Il a voulu également un feu dans la cheminée que sa fille Juliette a activé rapidement. En cette veillée de Noël 2050,  la température est clémente, la neige est absente. Marcel enrage comme chaque année : il ne se souvient même plus de son dernier Noël sous la neige. Voilà déjà une décennie que le réchauffement de la planète a nettement fait sentir ses effets et qu’on n’arrive plus à avoir froid le 24 décembre. Marcel a tout de même ronchonné pour avoir sa flambée, d’abord parce que ça  lui fait plaisir de ronchonner et puis ensuite parce qu’il estime que la tradition de ce jour exige un feu de cheminée dans son décor. En attendant le Réveillon, il pense qu’il sera bien là, au coin du feu, auprès des siens.

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Service militaire

23 janvier, 2010

Lors des virées en boîte, sa bande désignait toujours un capitaine de soirée.

La corvée tombait souvent sur lui.

On lui permettait à la rigueur un colonel, à base de sorbet au citron et de vodka.

Et puis c’était tout. Fermer le ban !

C’était un drôle de pistolet.

Une armée de jolies filles essayaient de l’entraîner au milieu de la piste.

Elles étaient toutes des canons de beauté.

Mais il n’aimait pas danser, préférant monter la garde devant le bar.

Un bataillon de femmes légères défilait alors devant lui.

Mais il les renvoyait toutes dans leurs foyers.

Il avait un véritable génie pour passer à coté de toutes les bonnes choses de la vie.

 

Chacun porte sa croix!

22 janvier, 2010

Tout va mal pour la religion, aujourd’hui.

Tout l’évêché est éméché.

L’archevêque s’enchevêtre.

L’archiprêtre s’apprête à prêter ses prêtres.

Le cardinal dîne mal.

Les abbés ont cédé à la tentation.

Chez le diacre, l’odeur est âcre.

La religieuse en a mangé.

La nonne annone.

Seuls les curés sont carrés.

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