Archive pour décembre, 2009

Un réveillon de nuls

10 décembre, 2009

Revoilà le 31 décembre. La neige tombe sur la ville, drue et douce. Ce soir, je n’échappe pas au réveillon familial.

Dès 20 heures, Marie-Claude commence à se préparer pour la « fête ». Elle enfile bagues et colliers puis peigne sa longue et douce chevelure brune, en penchant la tête. Elle pomponne ses merveilleuses tâches de rousseur sur ses joues et le bout de son nez qui m’ont tant séduit, il y a dix-sept ans. C’est bien pour elle que je me farcis cette réunion annuelle qui lui tient à coeur. Son frère est un fanatique du réveillon du jour de l’an : si nous n’accourons pas à la table familiale, il s’en offusquera.

Comme à son habitude, Marie-Claude organise le départ avec doigté et fermeté : à 21 heures pétantes, elle fait monter nos deux gamins dans la Laguna familiale. Le froid s’annonce vif, la neige a cessé, les rues sont déjà envahies de boue : on attend du verglas. J’espère qu’on attendra jusqu’à demain, sinon le retour, en pleine nuit, sera pénible.

Nous ne manquons pas à l’usage et aux bonnes manières: une halte chez le fleuriste s’impose. Des couples endimanchées en sortent les bras chargés de compositions luxuriantes. Je jette un coup d’œil sur les étiquettes : depuis huit jours, les bonnes manières sont hors de prix.

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A notre rayon « produits pharmaceutiques »

9 décembre, 2009

Son père était l’ordonnance d’un grand général dans l’armée.

Logiquement, Lucien était donc devenu pharmacien.

Lucienne, son épouse, était, comme par hasard, pharmacienne.

Au début de leur union, elle prenait régulièrement la pilule.

Puis ils eurent un enfant, Luc.

Comme les affaires étaient mauvaises, la famille devint pauvre.

Lucien et Lucienne eurent un répit lorsqu’une méchante grippe fit peur à la population.

Les gens du quartier toussaient beaucoup et achetaient donc beaucoup de sirop.

Mais ce fut un cautère sur une jambe de bois.

Ne pouvant plus subvenir aux besoins de Luc, ils résolurent de le perdre dans les rues de la ville.

Mais le gamin était subtil, il emporta dans ses poches des pastilles à la menthe qu’il laissa tomber tout au long de son trajet.

En rentrant, Lucien et Lucienne, très tristes d’avoir égarés leur fils –on le serait à moins-  se mirent devant le Journal Télévisé.

Et là, ils eurent une bonne surprise : le gouvernement venait d’inventer une nouvelle maladie !

A ce moment une petite main toqua à la fenêtre : Luc venait de retrouver sa maison.

Quelle fête fut organisée dans le modeste logis de Lucien et Lucienne !

La Pharmacie Poucet pourrait bien tôt s’agrandir !

Propriété privée

8 décembre, 2009

Myu vit avec les siens sur ces hauts plateaux, venteux à la mauvaise saison et arides lorsque le soleil éclate. Il sait que les anciens ont délaissé le littoral qui offrait peu d’abris contre les bêtes féroces pour se réfugier dans les cavernes nombreuses de ce pays accidenté et donc protecteur.

Ils sont plusieurs dizaines à avoir élu domicile dans le même repaire rocheux. Ces petits hommes trapus à la peau velue, à la crinière envahissante et aux visages simiesques luttent chaque jour pour leur survie. A l’aide de murmures, de sifflements ou de grognements modulés, ils se comprennent, s’informent des dangers qu’ils pressentent ou des plaisirs qu’ils ressentent. En dehors de leur caverne, la mort rode à chaque instant. Myu et ses frères ont reçu des anciens la manière de construire un épieu effilé ou des armes de poings en silex pour lutter contre les animaux en quête, comme eux, de proies pour survivre.

Parmi les hommes et les femmes de la caverne, la mortalité est élevée. Mais des petits hommes, issus de la promiscuité du groupe, naissent aussi en grand nombre. Le groupe, préoccupé de sa survie collective,  a appris à les protéger.

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Le fond du problème

7 décembre, 2009

C’est que les mineurs ne descendent plus au fond.

C’est que je n’aime pas les fonds d’artichaut.

C’est que je ne suis pas un coureur de fond.

C’est que celui de l’air est frais.

C’est que c’est ainsi que font, font les marionnettes.

C’est que mon fond de teint a viré.

C’est que 2 et 2 ne font plus 4.

C’est que des fonds, je n’en ai plus beaucoup.

C’est que je ne suis jamais à fond.

Dans le fond, je crois que je le touche, le fond.

Un mauvais citoyen

6 décembre, 2009

Albert est un fonctionnaire consciencieux et travailleur. Son dossier est irréprochable. Il a le dévouement à la cause publique chevillé au corps. Depuis quelques mois, il a été nommé au poste envié de Directeur Général du Bureau des Interdictions. Albert a élaboré une base de données très sérieuse qui recense tout ce qui est strictement défendu dans la ville où il officie. Avec les nouvelles technologies, on réalise des outils merveilleux ! Chaque matin, il compulse sur son écran les nombreux articles de code qui composent ces dispositions coercitives : interdiction de fumer, de rouler à gauche, de faire du bruit, de marcher sur la pelouse, etc…. etc… Albert dispose de nombreux agents dont il manœuvre le déploiement sur le terrain pour faire respecter ces décrets sacrés en prenant les sanctions qui s’imposent.

Albert apprécie tout particulièrement les interdictions qui balisent la vie quotidienne des citoyens. Par exemple, il aime le texte qui stipule qu’il ne faut pas arroser ses plantes quand il fait trop chaud et qui donne l’occasion à ses agents d’établir de si jolis procès-verbaux dénonçant le port prohibé d’arrosoirs par certains citoyens indisciplinés. Albert suit également avec gourmandise l’application de ces arrêtés municipaux qui permettent de sanctionner par une forte amende les mendiants qui tendent la main en centre ville. Certains esprits forts ont fait valoir que pour payer une amende, il faudrait d’abord que ces personnes impécunieuses aient de l’argent. Mais il s’agit là d’une manœuvre dilatoire qui n’impressionne pas Albert qui appliquera la loi quoiqu’il arrive.

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Le pays des mots

5 décembre, 2009

Au pays du Vocabulaire, les gens vinrent de toutes parts.

Des montagnes descendit le Verbe Haut.

Il fut suivi par une personne handicapée : l’Imparfait.

Un mendiant tendait la main pour manger : on le connaissait sous le nom de Mot de
la Faim.

Un amuseur public était déjà sur place : le Verbe Truculent.

Quelqu’un parlait à tout le monde. Il commençait ses phrases par : le « Nom Dit ».

Un personnage bizarre lui répondait. Il prétendait s’appeler le Nom de Dieu.

Un vendeur s’était installé sur la place en ventant ses produits. L’Article le faisait.

Un ancien bagnard passait par là : il était en liberté surveillée, le Conditionnel.

Une silhouette se distinguait de la foule par son accoutrement : il se nommait « le Singulier »

Tandis qu’un autre visiteur organisait des concours : c’était le Jeu de Mots.

Des petites gens circulaient autour de lui : les Adjectifs, les Pronoms, les Adverbes…

Ils n’avaient pas trouvé le moyen de Participer à ses tournois.

Révision de maths

4 décembre, 2009

Marcel conduisait d’une main en dévorant son croissant de l’autre.

A l’intersection de deux rues, il aperçut deux policiers en fonction.

Marcel stoppa néanmoins son véhicule en double file.

Il devait s’acheter des apéricubes chez l’épicier

Et faire extraire les racines de sa molaire chez le dentiste.

Les policiers n’hésitèrent pas une fraction de seconde, ils n’aimaient pas tourner en rond.

Ils hélèrent Marcel qui ne prit pas la tangente.

Eux n’empruntèrent pas non plus de détours sinusoïdaux.

Pour lui signifier que sa conduite pouvait le conduire en droite ligne devant le juge.

Marcel état doté d’une patience qui ne tendait pas vers l’infini.

Comme il était pressé, sa colère monta au deuxième degré.

Les forces de l’ordre l’avertirent qu’elles sentaient dériver son comportement vers l’outrage.

Alors, Marcel fit l’étalage de l’intégrale de son vocabulaire.

C’est ainsi qu’il put enfin prendre la mesure du périmètre des geôles de
la République.

Le grand départ

3 décembre, 2009

Les vacanciers ont envahi les quais. Le 2 juillet, c’est normal. La direction de la SNCF contrôle la situation, parait-il. Sous les verrières de la gare de Lyon, le brouhaha, les cris, le klaxon des véhicules de service, les borborygmes des haut-parleurs s’emmêlent, se percutent, s’entrechoquent.

Des gens sortent de partout, des trains, des toilettes, du bistrot. Ils paraissent inquiets, hésitants, pressés, soumis, résignés. Les bagages pèsent lourdement, se traînent, se hissent, se poussent.  Des jeunes sont assis sur des sacs à dos monstrueux en aspirant goulûment un soda bon marché à travers des pailles multicolores. Quelques uns grattent une guitare. Les mères de famille tirent leur progéniture piaillante par la main. Les voyageurs s’agglutinent autour du panneau électronique comme des fidèles autour de l’autel. Les cous se tendent vers le tableau de chiffres, les regards hagards cherchent la bonne information. Parfois, un bruit de crécelles se produit : un nouveau convoi s’affiche entraînant un vaste mouvement de foule, aussitôt compensé par l’arrivée de nouveaux postulants à l’embarquement.

Une femme s’avance vers moi, un billet à la main. Son chapeau est adapté à la saison : quelques cerises s’enroulent autour de trois oisillons. Elle transpire fortement dans sa corpulence et dans sa robe à fleurs jaunes et vertes. Je dirais même qu’elle halète d’une manière qui m’inquiète pour sa santé. Elle peut à peine parler, préférant me montrer son ticket. Oui, le train pour Dijon part dans deux minutes, au quai…. Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, elle est repartie à fond de train, si j’ose dire. Sa valise qui cahotait péniblement sur des petites roulettes vole désormais dans les airs, écorchant au passage une grappe de voyageurs qui vocifèrent aussitôt quelque chose sur le respect dû aux êtres humains, surtout à ceux qui s’apprêtent à prendre un train.

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Incendie involontaire

2 décembre, 2009

Au coin de la cheminée, il lui déclara sa flamme.

La chaleur de son regard le rassura.

Il pourrait peut-être fonder un foyer avec elle.

Mais il fallait éviter de s’embraser trop rapidement,

Malgré la fièvre qui s’emparait de lui.

Il devait maîtriser son tempérament volcanique.

Il lui dit donc qu’elle avait allumé un feu d’enfer en lui,

Mais qu’il ne fallait pas marcher sur des braises ardentes.

Comme il devait aller au charbon le lendemain et qu’elle devait aussi bûcher,

Ils allèrent se coucher, chacun de leur coté.

 

 

Un grand stratège

1 décembre, 2009

Le dimanche matin, j’aime à réfléchir à ma vie dans un bain moussant, chaud et décontractant. Pour être encore plus précis, j’aime à me concentrer sur mes doigts de pieds velus qui émergent de l’eau savonneuse, appuyés sur le bord de la baignoire. Certains vont à l’église ou à mosquée pour se ressourcer auprès de leurs idoles. Moi, je me concentre sur Moi-Même. A chacun son Dieu.

Je suis un type au potentiel formidable. Je n’ai peur de rien, tout le monde le dit. Je sais me battre pour arriver là où je veux. Je suis un solide, un dur, j’ai de la dimension, de la surface, de l’envergure. Alors en ce dimanche matin des Rameaux, alors que le printemps s’épanouit et que j’ai utilisé un savon à la rose, je fais le point et j’analyse ce qui ne va pas chez moi. Car je sais, moi, me remettre en question contrairement à certains que je ne nommerai pas ici.

Je crois que pour bien vivre ou plutôt pour bien exister, il faut s’opposer. Une personnalité se construit dans le conflit, tous les psys vous le diront. Votre adversité, c’est le sel qui nourrira votre développement personnel, c’est le ferment qui épanouira votre individualité. Il faut se garder de ses amis et soigner ses ennemis, encore faut-il se débrouiller pour en avoir. Comment ai-je fais pour les perdre un par un ? Que sont mes ennemis devenus ?

Il faudrait que je me coupe les ongles des pieds. 

      

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