Archive pour décembre, 2009

Les prières de Jeanne

20 décembre, 2009

Jeanne s’est installée dans la pénombre de l’église. En retrait. Loin de la rangée des cinq ou six bigotes du quartier qui se prosternent devant l’autel, en extase. Ce soir, il n’y aura personne d’autre pour suivre la messe du Père Renaud. Il mène l’office tambour battant, le père Renaud. La crise des vocations n’en finit pas : il aura encore deux prestations à livrer dans les paroisses voisines, avant de rejoindre son lit.

Jeanne est entrée dans le saint lieu vers 18 heures comme chaque semaine. Elle ne sait plus si elle croit vraiment à quelque chose de divin, mais c’est l’occasion pour elle de tenir un espèce de dialogue muet et solitaire avec elle-même. De loin, son attitude peut passer pour une prière. Il faudra que le Bon Dieu s’en contente, elle n’a rien de mieux à offrir. Et puis, ce soir, il pleut à verse, comme toujours à la veille du 11 novembre. Jeanne se dit qu’elle peut au moins soliloquer à l’abri.

Elle a l’impression que le père Renaud marmonne de plus en plus : ou il vieillit ou bien il est de plus en plus pressé. Elle ne comprend rien de ce qu’il dit, mais ce n’est peut-être pas très utile qu’elle comprenne.

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Prière en faveur des gens qui s’en sortent toujours bien.

19 décembre, 2009

Pour tous ceux qui savent ce que ça veut dire « heuristique »,

Pour tous ceux qui savent calculer un logarithme népérien,

Pour tous ceux qui vont en vacances dans des endroits avec des noms compliqués,

Pour tous ceux qui gèrent leur carrière de mains de maître,

Pour tous ceux qui n’ont jamais rendez-vous chez le dentiste,

Pour tous ceux qui arrivent toujours à se garer en ville,

Pour tous ceux qui savent quoi dire dans un ascenseur,

Pour tous ceux qui ont toujours regardé le match d’hier,

Pour tous ceux qui arrivent en retard en réunion à cause d’un coup de fil important,

Pour tous ceux qui ne font jamais d’erreurs.

Un homme de dimension internationale

18 décembre, 2009

C’était un homme petit, né à Genève.

On l’appelait le petit Suisse.

Lorsqu’il habitait Londres, il aimait regarder les gens marcher.

C’était la promenade des Anglais.

A Paris, il descendait le boulevard des Italiens

Pour aller manger des petits pois écossés,

Puis une omelette norvégienne en dessert,

Ou alors un yaourt bulgare

Et filer à l’anglaise pour terminer.

Le soir, il dansait le tango argentin à merveille.

Parfois il emmenait une grande suédoise

Découvrir ses estampes japonaises,

Car il parlait le dialecte nordique

Comme une vache espagnole.

 

Un accident de transport

17 décembre, 2009

Quatre silhouettes se sont installées dans l’ascenseur. Il y a là un jeune militaire en tenue d’été. Ses yeux bleus illuminent son visage glabre et son crâne rasé comme il sied à l’élite de nos troupes actives. Des avant-bras velus et puissants émergent de sa chemise kaki.

Son voisin est un petit monsieur dont le front lui arrive à l’épaule. Il est barbichu, le petit monsieur. Et particulièrement nerveux. Son bouc poivre et sel s’agite furieusement même quand il se tait. Il a l’air de l’usager acariâtre venu déposer ses doléances aux guichets d’une administration qui lui a visiblement joué un sale tour. Sous le coude de son veston fripé, il serre un gros dossier mal fermé d’où émergent, pêle-mêle, toutes sortes de papiers prêts à s’échapper de leur classeur.

En face de lui, une femme bien mise a pris place. Elle sort de son coiffeur : sa permanente brille sous le néon. Ses pommettes outrageusement fardées peinent à masquer la progression de l’âge. Son bec d’aigle et sa bouche aux plis amers sont surmontés d’une paire de lunettes à fortes montures. Son tailleur gris de bonne coupe dénote une situation familiale aisée ou qui le fut.

Le quatrième personnage est le plus mystérieux. Il domine tous les autres, même le soldat, d’une bonne tête. Il porte un long manteau noir en plein été. Son couvre chef est un feutre sombre qui parachève son allure sinistre. On aurait dit un portemanteau si ses yeux gris étrangement fixes et son visage squelettique n’attiraient pas l’attention craintive de ses interlocuteurs.

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Aujourd’hui, à notre rayon boulangerie…

16 décembre, 2009

Le roi Maurice Ier enfila ses chaussons en se levant.

Dans le miroir, il considéra sa silhouette : il était doté d’une brioche bien dodue.

Il avait également des miches avantageuses.

Puis, il ajusta sa couronne sur son crâne chauve.

Les problèmes allaient croissants chez ses sujets.

Le peuple baignait dans la misère.

Il allait reprendre son royaume en mains et le mener à la baguette.

Chacun devait pouvoir gagner son pain.

Il trouvera des vraies solutions et ne se contentera pas de bouts de ficelles.

Un type bien.

15 décembre, 2009

Le dimanche matin, je me prélasse dans un bain, chaud, moussu, presque maternant. C’est ma récompense de la semaine, le moment où je me retrouve, bien que je ne me sois jamais vraiment perdu. Aujourd’hui, cet instant est particulièrement réussi et même intense, j’étrenne un nouveau savon à la crème de framboise, super hydratant, super adoucissant, super…enfin, je ne sais plus. Lorsque je m’allonge dans la baignoire, la mousse passe par-dessus bord, mais l’inondation de la salle de bains  fait partie du plaisir. D’ailleurs, je vais rajouter un peu d’eau chaude.

Je pense, sans aucun sentiment de culpabilité, à tous ces écolos effarouchés qui entendent réglementer l’usage de l’eau pour chaque citoyen. D’accord sur le fond : le gaspillage de l’eau me scandalise : pensons un peu à l’Afrique ! Mais il faut savoir assouplir cette préconisation pour des cas particuliers comme le mien : ils devraient savoir que je ne prends jamais de douche le week-end !

Rien n’effraie un homme comme moi : je ne suis pas quelqu’un qui se laisse impressionner. Au bureau, je suis inflexible, extraordinairement inflexible. A cet égard, je me suis montré particulièrement brillant lors de la réunion de vendredi après-midi. J’ai tenu tête à un bataillon d’avocats, venus nous chercher des noises. En tant que directeur juridique d’une entreprise de produits cosmétiques, j’ai l’habitude des contentieux. Maryse, mon assistante était émerveillée. Elle suivait mon argumentation de ses grands yeux brillants d’admiration. J’aurais pu facilement jouer de son éblouissement, mais je respecte trop les femmes et mon boulot pour utiliser ce genre de situation à des fins bassement charnelles.

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L’histoire de Colette (ou rions un peu..)

14 décembre, 2009

La soubrette s’appelait Colette.

Elle avait de belles gambettes, Colette.

Mais il ne fallait pas lui raconter des sornettes.

Elle portait des lunettes et une barète.

Très sportive, elle faisait beaucoup de pirouettes.

A la mer, elle admirait le vol des mouettes et l’élégance des goélettes.

Colette cuisinait bien : notamment la tartiflette et la vinaigrette.

Pour mieux vivre, elle vendait des brouettes et des pochettes.

Parfois quelqu’un, à sa porte, tirait la sonnette.

C’était Bernadette avec qui elle allait voir une opérette.

En trottinette.

Pouet ! Pouet !

 

L’homme qui filait du mauvais coton

13 décembre, 2009

Ce sont les premiers jours du printemps. L’air est léger, il fait bon marcher dans les rues. Je m’assure que je suis toujours suivie. Voilà trois semaines que mon conjoint a engagé un détective privé pour m’emboîter le pas. Evidemment, je m’en suis aperçue très rapidement. C’était un jeu d’enfant. Pour être découvert dans une situation pareille, il suffit de prendre l’air faussement naturel en se cachant derrière un journal de la semaine dernière ou en admirant une vitrine complètement vide. C’est exactement ce que faisait ce pauvre bougre. Il ne m’a même pas épargné le sketch de l’homme qui se baisse subitement pour relacer sa chaussure au moment précis où je me retourne.

Il a la quarantaine chauve. Lunettes de binoclard, une verrue au coin des lèvres. Il a les traits empâtés, l’air las. Je pense que son job ne le passionne pas ou alors qu’il a des ennuis avec sa femme, ses enfants. Il faudrait que je lui en parle.

Mais pour le moment, j’ai rendez-vous avec Valérie à la Brasserie Des Lilas. Je l’aperçois déjà : elle est assise en terrasse et me fait un signe amical et joyeux de la main. Valérie a des grands yeux clairs, les cheveux fous et les mèches rebelles. Elle n’a jamais vraiment pris la vie au sérieux, la vie ne l’a jamais prise au sérieux non plus. Elle est bavarde, rit de tout et de rien, parle continuellement avec les mains. Sa bonne humeur est légendaire. Mes rendez-vous avec elle sont une vraie détente.

A quarante ans, Valérie et moi avons déjà traversé toutes les vicissitudes de la vie en couple. C’est un de nos sujets de conversation préférés. Je ne résiste pas au plaisir de lui parler de Georges. C’est mon suiveur. Je l’ai appelé affectueusement Georges bien que je ne connaisse absolument pas son prénom. Je trouve que Georges colle bien avec le caractère tragiquement banal de sa physionomie. Valérie est très excitée par cette aventure. Elle trouve que mon conjoint est un peu tombé sur la tête, ce qui n’est pas complètement faux. Mais elle en rit beaucoup.

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Les choses

12 décembre, 2009

J’en étais sûr : les choses ont pris le pouvoir.

Elles font ce qu’elles veulent les choses !

Et puis en plus, certaines sont de mauvaise humeur :

Les chaises grincent ! Le frigo me bat froid !

D’autres sont bavardes : le téléphone sonne, les robinets glougloutent, la télé dit que…

Seuls les œufs s’écrasent.

Certaines se cultivent : par exemple, les portes, qui s’ouvrent, le tube de dentifrice qui n’est jamais quelqu’un de refermé sur lui-même.

D’autres s’interrogent : la machine à laver qui tourne en rond.

Quelques unes jouent : surtout la chasse d’eau qui perd souvent.

Enfin il y a des choses mal en point : l’évier bouché qui ne comprend rien, la table qui boîte, les volets qui claquent…

Tout va bien.

11 décembre, 2009

Je suis hélas, dans la mélasse.

Le dimanche, je fais la manche.

Louise est dans la mouise.

Colette se débat dans la disette.

Moshe est fauché.

Mady mendie.

Richard est devenu clochard.

Lamine crie famine.

Certains on disparu dans la rue.

Dans l’Isère, on est dans la misère.

Dans l’Ardèche, c’est la dèche.

A Gênes, on est dans la gêne,

Même les curés sont dans la purée.

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