Un type bien.
Le dimanche matin, je me prélasse dans un bain, chaud, moussu, presque maternant. C’est ma récompense de la semaine, le moment où je me retrouve, bien que je ne me sois jamais vraiment perdu. Aujourd’hui, cet instant est particulièrement réussi et même intense, j’étrenne un nouveau savon à la crème de framboise, super hydratant, super adoucissant, super…enfin, je ne sais plus. Lorsque je m’allonge dans la baignoire, la mousse passe par-dessus bord, mais l’inondation de la salle de bains fait partie du plaisir. D’ailleurs, je vais rajouter un peu d’eau chaude.
Je pense, sans aucun sentiment de culpabilité, à tous ces écolos effarouchés qui entendent réglementer l’usage de l’eau pour chaque citoyen. D’accord sur le fond : le gaspillage de l’eau me scandalise : pensons un peu à l’Afrique ! Mais il faut savoir assouplir cette préconisation pour des cas particuliers comme le mien : ils devraient savoir que je ne prends jamais de douche le week-end !
Rien n’effraie un homme comme moi : je ne suis pas quelqu’un qui se laisse impressionner. Au bureau, je suis inflexible, extraordinairement inflexible. A cet égard, je me suis montré particulièrement brillant lors de la réunion de vendredi après-midi. J’ai tenu tête à un bataillon d’avocats, venus nous chercher des noises. En tant que directeur juridique d’une entreprise de produits cosmétiques, j’ai l’habitude des contentieux. Maryse, mon assistante était émerveillée. Elle suivait mon argumentation de ses grands yeux brillants d’admiration. J’aurais pu facilement jouer de son éblouissement, mais je respecte trop les femmes et mon boulot pour utiliser ce genre de situation à des fins bassement charnelles.
D’ailleurs, j’ai mis les choses au point avec Maryse. Dès le début de notre collaboration, j’ai du lui expliquer que ce n’était pas parce que son patron avait un certain charme que nos rapports ne resteraient pas sur un plan strictement professionnel. Elle a pouffé en refermant la porte, mais elle se l’est tenue pour dit.
Décidemment je crois être un homme bien, droit, dur avec lui-même. D’ailleurs, je m’étonne qu’aussi peu de personnes le remarquent.
Nul doute qu’avec les capacités que je développe, je sois promis à un avenir professionnel éclatant. Mes analyses de situations se révèlent toujours justes, pertinentes, documentées, fouillées. D’ailleurs, elles sont tellement redoutées que mes collègues n’osent plus s’enquérir de mon point de vue.
Mes interventions en réunion surpassent nettement les discours de ce pauvre Mercadier, directeur du service financier, qui ne voit pas plus loin que le bout de ses bilans. Quand on a la prétention de lorgner comme lui et surtout moi sur le poste de directeur-général adjoint, il faut manifester une vision stratégique de l’avenir de l’entreprise.
Je vais peut-être rajouter un peu de savon, la mousse à tendance à s’étioler.
En plus de mes qualités purement intellectuelles, ma culture surprend mes interlocuteurs. J’ai appris quelques phrases de latin que je place dans les séminaires d’entreprise. Il suffit de prendre l’air entendu et un brin malicieux et de sortir :
-« Comme disaient les Romains……..ad angusta per augusta…. »
La semaine dernière, j’ai placé cet aphorisme devant le Directeur Général du Groupe en visite dans nos locaux. Je crois que mon intervention a été assez remarquée :
-« Ad augusta per angusta… », a-t-il repris, enthousiasmé par mes connaissances…
De plus, bien qu’issu d’une école supérieure de management, je suis capable de soutenir toute conversation artistique. Sur le plan musical, j’ai un peu de mal avec les groupes anglais dont les noms changent tous les huit jours. Je préfère prétendre que j’ai des goûts classiques. Par exemple, je prends une mine nostalgique pour clamer qu’on n’a jamais rien trouvé de mieux que les Beattles ou les Rolling Stones. En général, mes partenaires ne sont pas capables de répliquer et s’empressent de passer à un autre sujet. En littérature, j’ai un peu plus de soucis. Lire m’ennuie passablement. Il faut absolument que j’apprenne par cœur les critiques des livres récemment parus. J’ai retenu qu’il est préférable de dire du mal de Houellbecque.
Tiens ! Il faudrait que je me coupe les ongles des pieds.
En plus de mes nombreuses qualités, je suis sportif. Et pas devant mon téléviseur, comme Mercadier ! En rentrant un peu le ventre, je m’impressionne moi-même. J’ai les épaules larges, les jambes musclées, le jarret fin. A 45 ans, je n’en connais pas beaucoup des comme moi. Il faut dire que j’y mets du mien. Mes deux séances de squash par semaine me fatiguent et me coûtent très cher, mais quel résultat !
Et puis, je suis un mec intéressant. J’ai des opinions sur tout. Par exemple, je m’insurge contre tous ces pollueurs qui torturent la planète. Il faut arrêter le massacre avant qu’il ne soit trop tard. Je ne suis peut-être pas aller à la dernière manif’ à cause de mon squash, mais je suis à fond derrière les alter mondialistes !
Mince, j’ai oublié de racheter du shampooing ! Je vais me débrouiller avec le fond du flacon.
Et puis la pauvreté, c’est vrai que c’est insupportable la pauvreté. Je suis à fond contre la pauvreté et le chômage ! Les sans-logis sont un véritable scandale ! Tous ces enfants à la rue ! Que font les politiques ? D’ailleurs, quand je regarde ces pauvres hères, assis à même le trottoir, pouilleux, sales, ivres du matin au soir, je me demande souvent : « Ai-je le droit d’être aussi heureux ? ». Décidemment, je suis un homme bon.
J’ai aussi beaucoup réfléchi au sens de la vie. Finalement, nous ne sommes qu’un point dans l’espace et le temps. Nos petits soucis ne pèsent pas lourd quand on prend un peu de recul. J’ai rencontré peu de gens qui ont cette sensibilité là par rapport à l’insignifiance de la nature humaine. Sauf Bernadette peut-être, ma nouvelle coiffeuse, elle a souri lorsque nous avons eu cette conversation. Elle, au moins, ne m’a pas demandé, comme la précédente, si je ne n’en avais pas marre de tous ces lieux communs !
Je vais aussi m’épiler les sourcils, ça m’éclaircira le regard
Avec les femmes, je suis marrant. J’ai toujours le mot pour rire. Elles aiment beaucoup mon humour, moi aussi. Mais je suis aussi un être romantique, je crois qu’elles le comprennent très bien lorsqu ‘elles croisent la profondeur de mon regard mouillé. D’ailleurs, par pudeur et discrétion, aucune d’elles n’a jamais voulu s’installer avec moi : elles remarquent tout de suite que je suis l’homme d’un seul Grand Amour.
Alors je n’aurais qu’une question : « Qu’est-ce qui ne va pas avec moi ? ».
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