L’homme qui filait du mauvais coton
13 décembre, 2009Ce sont les premiers jours du printemps. L’air est léger, il fait bon marcher dans les rues. Je m’assure que je suis toujours suivie. Voilà trois semaines que mon conjoint a engagé un détective privé pour m’emboîter le pas. Evidemment, je m’en suis aperçue très rapidement. C’était un jeu d’enfant. Pour être découvert dans une situation pareille, il suffit de prendre l’air faussement naturel en se cachant derrière un journal de la semaine dernière ou en admirant une vitrine complètement vide. C’est exactement ce que faisait ce pauvre bougre. Il ne m’a même pas épargné le sketch de l’homme qui se baisse subitement pour relacer sa chaussure au moment précis où je me retourne.
Il a la quarantaine chauve. Lunettes de binoclard, une verrue au coin des lèvres. Il a les traits empâtés, l’air las. Je pense que son job ne le passionne pas ou alors qu’il a des ennuis avec sa femme, ses enfants. Il faudrait que je lui en parle.
Mais pour le moment, j’ai rendez-vous avec Valérie à la Brasserie Des Lilas. Je l’aperçois déjà : elle est assise en terrasse et me fait un signe amical et joyeux de la main. Valérie a des grands yeux clairs, les cheveux fous et les mèches rebelles. Elle n’a jamais vraiment pris la vie au sérieux, la vie ne l’a jamais prise au sérieux non plus. Elle est bavarde, rit de tout et de rien, parle continuellement avec les mains. Sa bonne humeur est légendaire. Mes rendez-vous avec elle sont une vraie détente.
A quarante ans, Valérie et moi avons déjà traversé toutes les vicissitudes de la vie en couple. C’est un de nos sujets de conversation préférés. Je ne résiste pas au plaisir de lui parler de Georges. C’est mon suiveur. Je l’ai appelé affectueusement Georges bien que je ne connaisse absolument pas son prénom. Je trouve que Georges colle bien avec le caractère tragiquement banal de sa physionomie. Valérie est très excitée par cette aventure. Elle trouve que mon conjoint est un peu tombé sur la tête, ce qui n’est pas complètement faux. Mais elle en rit beaucoup.