Archive pour décembre, 2009

Vive la marine!

30 décembre, 2009

Beaucoup d’agents de l’entreprise s’étaient déjà barrés : ils se la coulaient douce.

D’autres s’apprêtaient à mettre les voiles, ils n’en fichaient plus une rame.

Monsieur René disait qu’on pouvait encore éviter le naufrage.

Il ne fallait pas sombrer dans l’indifférence, ni naviguer à vue.

Il réunit les salariés qui restaient : eux, c’étaient tous de grands gaillards.

Il les exhorta à garder le cap.

Ils étaient tous dans la même barque.

C’était un peu galère, mais ils en sortiraient.

Il fallait que tous montent sur le pont.

Sans oublier de descendre dans les cales pour faire un travail de soutier.

A ce prix, on éviterait de prendre l’eau.

Un artiste en exil (histoire qui finit bien)

29 décembre, 2009

Lorsqu’elle s’aperçut de ses maladresses à répétitions, de son manque d’inspiration chronique et de son inefficacité absolue, la foule intransigeante des supporters exigea sans pitié sa mise à l’écart immédiate. La cellule de recrutement du club fut montrée du doigt pour son incompétence et son manque de clairvoyance.

Durant les derniers jours de l’année, Paulo Carvalho avait été acheté trois millions d’euros au club de Botafogo. Sutter, l’agent recruteur, avait été enthousiasmé par le jeune brésilien. Avec 30 buts en un an, il dépassait les meilleurs espoirs nationaux connus à ce jour. Sutter, un homme d’expérience, était persuadé de faire une excellente affaire en ramenant Paulo dans ses valises.

Paulo Carvalho avait débarqué au début du mois de janvier dans ce club professionnel du Nord. Il avait été présenté à la presse locale qui avait fait grand cas de cette acquisition, tant il est vrai que le Brésil dispose depuis longtemps d’un prestige particulier en matière de football. Son teint cuivré, sa fine silhouette musclée rappelait l’allure de Ronaldhino auquel chacun s’empressa de le comparer.

Ses premières prestations sur les terrains français déçurent profondément les spécialistes. Devant le but adverse où il aurait du s’imposer, Paulo Carvalho se révélait gauche, malhabile et accumulait les cafouillages. Il est connu dans le milieu sportif que le public français s’impatiente rapidement. Il gronda, hua, conspua, siffla jusqu’à ce que le joueur soit retiré de l’équipe.

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Cours de natation

28 décembre, 2009

En regardant un papillon s’envoler au loin,

Jean comprit qu’il remontait peu à peu à la surface.

Il se souvenait vaguement des difficultés de son entreprise qui avait coulé l’année précédente.

L’amoncellement des factures dans lequel il s’était noyé.

La disparition de son chéquier qu’un voleur lui avait barboté.

Les revendications de ses employés qui avaient scié la planche sur laquelle ils étaient assis.

Jean avait bu le bouillon et plongé dans la déprime.

Mais il avait fini de brasser ces souvenirs.

Il ne nageait pas encore en plein bonheur.

Mais il redressait le dos.

Et sortait la tête de l’eau.

Un comparse indispensable

27 décembre, 2009

Voilà, c’est fait ! J’ai placé l’annonce : cherche assistant pour convoyer péniche, diplôme de plongée exigé. Je n’ai pas compris pourquoi il fallait faire quelque chose d’aussi tarabiscoté, mais Ramirez m’a dit que je n’avais pas besoin de comprendre. Il suffisait que j’accomplisse ce qu’on me disait de faire, de ne pas poser de questions oiseuses, de rester à ma place et tout irait bien. Ramirez est en liaison directe avec les chefs, il sait ce qu’il fait, je le respecte. D’ailleurs si je ne le tenais pas en haute considération, il m’a souvent fait savoir qu’on irait directement en discuter avec les patrons dont les manières sont – parait-il – assez frustes.

La seule chose qui soit certaine à ma connaissance, c’est qu’un convoi mystérieux de semi-remorques partira par la route, dans les jours suivants, de Strasbourg à Marseille, chargé d’une marchandise encore plus secrète que le parcours qu’il empruntera et qu’il fallait en prévenir nos complices par la voie de cette annonce.

Je me suis permis de demander à Ramirez pourquoi nous n’utilisions pas le téléphone ou internet pour cette mission. Ramirez a lissé sa barbiche noire, puis retiré ses lunettes de soleil et d’un air exaspéré m’a déclaré fermement que j’étais un peu jeune dans le métier. Selon lui la police espionne tout : le téléphone comme internet. D’ailleurs, si je levais un peu le nez en marchant dans la rue, je verrais qu’elle suit tous les citoyens à l’aide de caméras de surveillance sous le prétexte tout a fait fallacieux de détecter les gangsters plus efficacement parmi la foule des anonymes. Ramirez est un grand défenseur des libertés individuelles, il s’élève contre cette tendance institutionnelle à l’espionnage permanent de ses concitoyens.

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C’est du lourd !

26 décembre, 2009

Pour Martin, le détective privé, un mystère épais entourait cette affaire.

Mais il savait qu’il y avait un gros chèque à la clé.

Pour être en forme, il résolut d’aller se coucher : il avait un sommeil de plomb.

De plus, le lendemain, il ferait la grasse matinée.

Après déjeuner, il irait s’occuper de ses massifs de fleurs.

Par une série de déductions hardies, il saurait envelopper le coupable

En réunissant des indices accablants.

Martin pensait que c’était un véritable monstre.

Bientôt, il réunirait les protagonistes et au milieu d’un silence pesant,

Il créerait une énorme surprise pour l’obliger à se dévoiler.

 

L’Esprit de Vengeance

25 décembre, 2009

Il est là. Le regard méchant, sous un sourcil broussailleux. Les canines aiguisées sortent de sa bouche lippue. Récemment, il s’est laissé pousser une moustache mal taillée dont il lisse les extrémités d’un air sardonique lorsqu’il vient de réussir un mauvais coup dont l’ignominie lui arrache un sourire immonde.

Il s’appelle Max. Enfin… il aimerait s’appeler Max. Mais son pseudonyme n’a pas d’importance puisqu’il est seul et que personne ne le nomme. Max est là depuis longtemps. Depuis la nuit des temps. Dieu seul sait pourquoi il est là. Et encore, on n’est pas sûr qu’il le sache vraiment. En tous cas, l’Esprit de Vengeance est présent partout dans le cœur des Hommes.

Ce matin, il étend ses longs pieds crochus sur son bureau moderne. Il réussit de merveilleuses volutes bleues en aspirant avec délice les cigarillos qu’il s’est fait livrer récemment par un groupe de trafiquants indonésiens qui avaient besoin de se venger d’une troupe d’ennemis tout aussi sordides à propos d’un litige auquel il n’avait rien compris.

Ses affaires marchent à merveille. Il anime toujours quelques représailles bien sanglantes entre peuplades reculées ou entre organisations de gangsters désoeuvrés.

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Une femme en morceaux

24 décembre, 2009

Louise avait fait le pied de grue pendant une heure

Pour l’honneur d’avoir l’oreille du Prince

Qui sirotait un doigt de porto.

Il dit à Louise qu’elle n’avait pas la tête de l’emploi

Malgré son œil de lynx,

Et bien qu’elle ait la main verte

Et qu’elle soit disposée à mettre de l’huile de coude.

En partant, Louise fit un bras d’honneur.

Au retour, sa voiture sauta sur un dos d’âne.

Puis heurta une bouche d’égout.

Louise se vengera : elle avait une langue de p….

Religieusement…

23 décembre, 2009

Le séminaire organisé par la direction avait débuté dès l’aube.

La salle de réunion était d’un style austère, presque monacal.

Le PDG s’était déplacé en personne pour nous délivrer son sermon.

Il nous dit qu’il fallait que tous les cadres communient dans le même esprit d’entreprise.

Ses notes stratégiques devaient être notre bible.

Puis il nous donna sa bénédiction.

Mais l’animateur n’avait pas des enfants de chœur en face de lui.

Nous n’avions pas le culte de la performance.

Nous n’obéissions à aucune de ses prières.

Ses injonctions n’étaient pas paroles d’évangile.

Il but le calice jusqu’à la lie,

Lorsqu’il dut confesser jusqu’à son ignorance de nos activités.

Une entreprise de pointe

22 décembre, 2009

L’entreprise Keudall ne produisait rien. Mais alors strictement rien. Le concept  avait été formulé par son fondateur Ernest Keudall, un jeune suédois, une trentaine d’années plus tôt. Fatigué par la marchandisation croissante de la société, la surconsommation ahurissante de ses concitoyens et la pénibilité harassante du travail dans un environnement économique de plus en plus productiviste, cette idée éblouissante de simplicité avait germé un jour dans l’esprit d’Ernest Keudall : ne rien faire. Après un succès encourageant dans son pays d’origine, Ernest Keudall jugea qu’il était temps d’investir à l’étranger. Une étude serrée des différentes opportunités le convainquit que les français étaient un peuple particulièrement qualifié pour ne rien faire. C’est ainsi que naquit l’usine de Saint-Moulin-en-Artois qui compta bientôt une centaine de salariés.

Installée dans des locaux d’autant plus rutilants qu’ils n’abritaient aucune machine bruyante ou graisseuse, Ernest Keudall avait du néanmoins aménager un espace pour la vente. Derrière le comptoir se tenait un vendeur qui accueillait les chalands à la recherche d’un petit rien. Le salarié était relayé toutes les heures pour éviter des excès de fatigue. Le client pouvait choisir entre trois tailles de rien : petit, moyen ou grand. Le grand rien remportait un vif succès auprès de la classe sociale aisée. Mais quel que soit le modèle, le client payait et s’en retournait avec le néant entre les mains. Le concept fonctionnait particulièrement bien : de nombreux touristes faisaient le détour pour ne rien acheter avec curiosité et convoitise.

Monsieur Keudall avait développé sa vente par courrier et internet. L’acheteur consultait un catalogue dont les pages étaient entièrement blanches à l’exception du chapitre sur les tarifs et le bon de commande. Il rédigeait sa demande, l’expédiait avec son chèque et ne recevait strictement rien en retour. C’était simple, mais Ernest Keudall se le disait tous les jours, il fallait y penser. Les affaires devenaient fleurissantes. La société Keudall vendait ses riens dans le monde entier. De toutes parts, on se précipitait pour acquérir très cher le néant de l’homme d’affaires suédois.

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Art capillaire

21 décembre, 2009

Il lui était interdit de promener sa tignasse sur le champ de courses.

Son niveau de vie s’était dégradé.

Pour décrocher le tiercé, il pourrait se brosser.

Il ne reverrait plus une queue de cheval

Il était pourtant de mèche avec les entraîneurs et les jockeys.

Les policiers avaient fait du balayage dans son réseau.

La justice avait passé ses activités au peigne fin.

Il devrait désormais suivre une raie droite.

Faute de quoi le commissaire serait défrisé.

Il était à un cheveu de le mettre en prison.

Il ne les couperait sûrement plus en quatre.

 

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