Celui qui voulait choisir ses rêves

Je marche dans ce tunnel noir depuis un bon moment, un bâton de berger à la main pour faciliter ma progression. Je marche, mais sans avoir l’impression d’avancer comme si je me mouvais dans un paquet de coton. Ce n’est pas très intéressant comme rêve ! Enfin ! C’est toujours mieux que la nuit pendant laquelle j’ai perdu toutes mes dents. Dès le lendemain matin, j’ai du copieusement enguirlander mon dentiste. Il n’avait pas l’air de vraiment comprendre mon problème, mais j’ai été intraitable sur la maladresse de ses soins.

Soudain me voici dans la cour du collège. D’habitude, personne ne veut de moi pour les parties de foot. Ma frêle constitution, ma lenteur, mes erreurs d’appréciation découragent les capitaines. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’absents. Ils ont été obligés de faire appel à mes services pour compléter une de leurs équipes. Je déboule sur l’aile gauche et j’expédie un shoot imparable dans la lucarne. Martinaud, le rugueux demi centre, me regarde enfin d’un air intéressé. Je le toise avec la mine supérieure du joueur qui se sait nettement au-dessus des autres tout en ayant la magnanimité de celui qui n’en laisse rien paraître. Martinaud me reprendra dans son équipe la prochaine fois, c’est sûr. Surtout s’il veut que je lui passe les solutions du devoir de maths.

Me revoilà rejeté dans mon tunnel et ça n’avance toujours pas. Je voudrais zapper ! Un autre rêve s’il vous plait !

Cette fois, je suis face à mon patron Dumartin, dans son bureau. Ce n’est pas la première fois que je suis obligé de lui faire la leçon. La semaine dernière, il a déjà eu droit à mes remontrances. Mais curieusement, le lendemain il s’est montré toujours aussi cassant et plein de morgue vis-à-vis de moi. Visiblement, il n’a rien compris à ce que je lui avais expliqué la nuit précédente.

Dans la réalité, je n’ai jamais eu l’honneur d’être convié dans le sein des seins, mais cette nuit, je n’ai peur de rien. J’ai forcé la porte de la direction. La secrétaire Mademoiselle Luminon était aux cent coups, mais j’ai foncé en faisant semblant de ne pas me laisser impressionné par ses cris :

-          Mais puisque je vous dis que M.Dumartin est occupé !

Et là, j’aime autant vous dire qu’il m’a entendu, Dumartin. Je lui ai asséné ses quatre vérités et même un peu plus. Son attitude méprisante vis-à-vis de ses employés, ses exigences de petit roitelet, son goût pour l’apparat et ses somptueuses voitures de fonction, sans parler de son appartement de bord de mer financé aux frais de la société. Il va sûrement comprendre que c’est mon dernier avertissement !

Mince, je suis replongé dans mon tunnel ! Pas pour longtemps : maintenant, il me semble que je vole dans les nuages. Je reviens de très loin, d’Afrique ou d’Australie, je ne sais plus. En dessous de moi, j’aperçois des fourmis qui se déplacent en colonnes le long des rubans d’asphalte et puis un peu de verdure, quelques clochers de village. Je suis de retour pour plusieurs semaines sur ma terre natale pour me ressourcer. Je suis un aventurier d’autrefois, égaré dans le monde moderne, explorateur de terres inconnues et inhospitalières, vieux baroudeur aux mœurs rudes mais authentiques. Je vais revoir les miens dans le village de mon enfance. Mes sensations sont douces et agréables. Sauf que lorsqu’on est à dix mille mètres d’altitude, on est ordinairement confortablement  assis dans un fauteuil d’Air France. Moi, je plane seul les bras écartés, le visage radieux, fouetté par l’air pur. Il faudrait que je prépare mon atterrissage, tout de même !

Je retombe dans ce fameux tunnel dont je ne sors jamais. Je proteste. Il y a sûrement quelque part une Entité Supérieure qui décide des images qu’elle me projette nuitamment dans le cerveau. Eh bien, je proteste devant cette Entité Supérieure ! Cette vision constante d’un tunnel infini ne me satisfait pas du tout. Ce n’est absolument pas le rêve dont je rêve. Certains disent qu’il faut savoir aller au bout de ses rêves. Moi, je n’ai pas l’intention d’aller au bout de ce tunnel en supposant qu’il en ait un. Je préférerais commander des rêves à ma convenance si ça ne dérange personne, évidemment.

Je ne demande pourtant pas grand-chose  ! Je ne sais pas moi ! Une plage de sable blanc, bordée de palmiers. Je suis torse nu, un naïade ravissante entre les bras. Bronzée à souhait, dans un bikini minuscule. Et puis pendant qu’on y est, il faudrait qu’elle me regarde avec adoration. Comment ça, c’est un peu macho ? Peut-être, mais ce n’est qu’un rêve. Et puis, il faudrait que l’Entité Supérieure se coordonne une bonne fois pour toute avec le réveille-matin pour que je ne sois pas coupé en plein milieu de ma conversation avec la jeune femme, comme d’habitude.

Bon d’accord. On va faire plus simple. Je suis sélectionné en équipe de France de foot. C’est la finale de la Coupe du Monde contre le Brésil. Les Brésiliens tiennent à prendre leur revanche de 98. Les affaires des bleus sont très mal engagées. Benklifa, notre milieu de terrain a été expulsé, nous jouons à dix contre onze. Et soudain, j’ai un coup de génie. Double contact, trois défenseurs sud américains éliminés, et je marque le but victorieux d’un tir brossé dans la lucarne, comme d’habitude.

La descente des Champs-Elysées ! Je passe, royal, devant Martinaud qui, tout penaud, ressasse le temps où il ne voulait pas de moi dans l’équipe du lycée. Il a l’air de se demander comment il a pu négliger un talent comme le mien. Le peuple qui m’acclame. Le Président qui me tombe dans les bras. La naïade du rêve précédent qui roucoule auprès de moi. Il va quand même falloir qu’elle ne s’accroche pas trop parce que j’ai des millions d’admiratrices qui m’aiment aussi. Comme tous les grands artistes, je dois non seulement être aimé, mais aussi compris.

Bon, c’est dit ! Je commande ce rêve à l’Entité Supérieure, il me plait bien. J’espère qu’elle a des stocks. Au moment des fêtes, elle est toujours débordée par la demande. C’est un vrai cauchemar !

A la limite, je pourrais patienter avec un rêve de deuxième catégorie. Par exemple, je suis nommé directeur général, je deviens le supérieur de Dumartin. Je le vois venir piteusement dans mon bureau quémander une autorisation de sortie pour mener le petit chat de sa belle-mère au vétérinaire. Je le regarde d’un air hautain et lui rappelle l’époque où il m’accablait de travaux inutiles la veille de mon départ en vacances. Il est blême Dumartin, il bafouille, regarde le bout de ses chaussures. Et puis, je deviens grand, superbe et généreux.

- Vous avez de la veine que j’aime les chats Dumartin, allez-y !

Et puis non ! Une nomination comme directeur général ne me tente pas. C’est un coup à prendre des ulcères à quarante ans. Je supporte Dumartin toute la journée. La nuit, je préférerais quelque chose de plus frais.

Si on disait que j’ai fait fortune en écrivant des poèmes ? J’ai racheté la Malmaison, la demeure de Joséphine de Beauharnais. Je parcours à cheval les immenses terres qui entourent la célèbre demeure. Les mannes napoléoniennes, les murs qui paraissent encore résonner des frasques amoureuses de son illustre propriétaire, la nature qui s’éveille au printemps, tout m’inspire dans ce décor romantique. La veille, j’étais à l’Opéra et je suis rentré en fiacre au petit matin. Je m’assieds au secrétaire où l’amoureuse d’autrefois aimait à écrire. Je mets la dernière main à une ode à sa beauté qui bouleversera l’Académie des Belles-Lettres.

Voilà, çà au moins, çà a de la classe. L’Entité Supérieure devrait pouvoir me mettre ce rêve de coté. Mais, je préférerais gagner
la Coupe du Monde de foot auparavant. Merci d’avance.

-          BERNICHON ! Vous dormez au bureau maintenant ?

Tiens, celui-là je ne l’avais pas programmé. Je me frotte le visage et n’en crois pas mes yeux éberlués. Qu’est ce qu’il fait encore là, Dumartin ? J’ai une sensation de mouillé sur le visage. Ce sont les postillons de Dumartin. Il se tient devant moi, en chair et en os. Cramoisi, comme d’habitude.

Une Réponse à “Celui qui voulait choisir ses rêves”

  1. Bonjour
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