Archive pour septembre, 2009

Quand Lucien Grognasson était jeune

10 septembre, 2009

Aujourd’hui, Mademoiselle Dulampion a amené sa classe de CM1 chez Monsieur Grognasson.

Devant tous ces enfants, assis ou accroupis autour de son fauteuil, Monsieur Grognasson raconte comment les choses étaient de son temps, en tirant tranquillement sur sa bouffarde.

A son époque, les enfants étaient propres, polis, respectueux de leurs parents et des représentants de l’Autorité de manière générale. Entre autres, ils évitaient d’attaquer le Commissariat de Police à coups de pierraille comme certains qu’on évitera de nommer ici !

 Ils se levaient quand le maître arrivait en classe et apprenaient bien leurs leçons au lieu d’organiser un tour de bête pour tenir la fonction de souffleur lors des interrogations orales, n’est-ce pas Jérémy !

Le soir, ils se couchaient de bonne heure sans rouspétance de façon à être en forme pour l’école et ne se relevaient pas en douce pour voir des films interdits aux jeunes à la télé ! N’est-ce pas Giorgio !

Dans la rue, ils aidaient les vieilles personnes à traverser ou à porter leurs baluchons et ne se moquaient pas de leur faiblesse comme c’est si courant maintenant ! N’est-ce pas Alexis !

Le samedi, ils allaient au catéchisme pour apprendre à bien se comporter dans la vie et non pas au bistrot pour jouer leur argent de poche au PMU, n’est-ce pas Benjamin !

Mademoiselle Dulampion remercie Monsieur Grognasson de cette excellent leçon : il y a tant de bénéfices à tirer de l’expérience de nos grands aînés !

Soudain, Benjamin lève le doigt et demande à sa maîtresse à propos de Monsieur Grognasson :

- Il en en vrai ? On peut le toucher ?

La dernière nuit

9 septembre, 2009

Jean a décidé de passer sa dernière nuit d’homme libre sur le banc du jardin public de son enfance. C’est un vieux banc en bois, pas très confortable, d’un vert d’eau qui s’écaille par endroit. Il est divisé dans le sens de la longueur par un dossier de telle sorte que l’on peut s’y asseoir à plusieurs, dos à dos. C’est là que sa mère passait de longues après-midi lorsqu’elle n’était pas de service et que les beaux jours autorisaient cette sortie tandis que les enfants jouaient au parterre ou dans le bac de sable. 

 Jean s’allonge sur une moitié du banc. Il roule sa veste en boule sous sa tête. En plein mois de juin, la nuit est douce et étoilée. Il sera bien. Immanquablement, il s’amuse comme dans son enfance à retrouver la Grande Ourse et l’Etoile du Berger au milieu des millions de scintillements qui illuminent la voûte céleste. Au bout d’un moment, il se convainc de les avoir redécouverts. Il n’est sûr de rien, mais un soir comme celui-là, il faut entrer en communion avec les éléments de la nature. On va donc dire qu’il a trouvé les étoiles préférées des enfants. Il a allumé une cigarette. Ce sera sans doute la dernière, demain il devra arrêter. Il admire un instant les volutes qu’il exhale se confondre avec le bleu de la nuit. La dernière fois qu’il a passé la nuit dehors, c’était il y a bien longtemps, lors d’un camp de scouts. Il ne peut même pas dire que ce fut une soirée « à la belle étoile » puisqu’il a plu jusqu’au matin. 

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Drôle d’airs

8 septembre, 2009

Il avait l’air emprunté quand il se rendit à la banque.

Il avait l’air empoté lorsqu’il rempota ses plantes.

Il avait l’air pataud lorsqu’il sortit son chien.

Il  avait l’air groggy lorsqu’il but son grog.

Il avait l’air fin lorsqu’il maigrit.

Il avait l’air de ne pas y toucher lorsqu’il entra chez le boucher.

Il avait l’air mi-figue, mi raisin lorsqu’il mangea des fruits.

Il avait l’air irrité lorsqu’il toussa en étouffant de colère.

Il avait l’air marri lorsqu’il passa devant le Maire aux cotés de Janine.

Il avait l’air patelin lorsqu’il revint dans son village natal.

Il avait l’air tonitruant lorsqu’il appela Tony, le truand.

Il avait l’air malin lorsqu’il croisa Lucifer.

Bref, c’était quelqu’un qui ne manquait pas d’airs…

Un casseur

7 septembre, 2009

 Je casse tout. Je ne sais pas pourquoi, mais je casse tout. C’est la rage ou alors la haine. Ça me prend au ventre ou bien ça me vient de mes ancêtres du Togo. J’en sais rien. Mais je ne supporte aucune contrainte, aucun lien, aucun regard.

Au collège, je me suis hissé à 17 ans en troisième, grâce à l’usure du moral des enseignants. Je devrais dire aux collèges au pluriel, puisque les directeurs du quartier se sont entendus pour faire circuler mon dossier d’un établissement à l’autre tant la vue de ma personne les indisposait.

La dernière classe que j’ai connue est celle de Mademoiselle Pelissier. Au début, j’aimais bien les cours de Mademoiselle Pélissier. A l’arraché, j’avais retenu quelques noms d’écrivains aux oeuvres desquels elle essayait de nous intéresser. Elle avait compris qu’il fallait mieux nous lire des textes car nous avions du mal à déchiffrer les écrits dont le niveau dépassait l’affichette de surpermarché. J’ai une bonne mémoire auditive, comme me disait le conseiller d’éducation. J’ai bien retenu que Montaigne avait un copain et qu’il disait que c’était son pote parce que c’était comme ça et pas autrement. La simplicité du mec m’avait bien plu. Et puis, j’étais aussi fan de Rodrigue qui avait le sens de l’honneur et de la famille ou Harpagon qui avait du goût pour le fric et savait le planquer.

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Sur, sûr

6 septembre, 2009

Louis est en surpoids : son corps souffre dans l’escalier.

Louis est surmené : son médecin va être en colère !

Louis est sur les rotules.

Louis est surveillé de près par son épouse Janine : il est si fragile !

Louis est surpris : Noël s’approche et il n’a aucune idée de cadeau pour Janine.

Louis est surdoué pour les impairs.

Louis est surbooké : la direction ne se rend pas compte de sa charge de travail. C’est toujours le mêmes qui trinquent.

Louis est surexcité : Dupont-Martin le PDG l’a demandé dans son bureau.

Louis est surpassé facilement par les évènements.

Dupont-Martin surgit : Louis n’est plus sûr de rien….

Histoire de bouche et de nez

5 septembre, 2009

Jean courait à perdre haleine.

Mais il ne manquait pas de souffle.

Il respirait la santé en avalant de nombreux jus de fruits bariolés.

Il inhalait le grand air des montagnes pendant l’été.

Dès les mauvais jours, il s’installait en bord de mer car il aspirait à la quiétude.

Là, il était très absorbé par son travail.

Parfois il écrivait des heures sans avaler le moindre aliment.

Au printemps, il prenait enfin une bouffée de fraîcheur en humant

 les premières senteurs du jardin.

A la fin de sa vie, il avait adopté un chien qui reniflait souvent.

Chose surréaliste

4 septembre, 2009

Sa chaise le suivait partout comme un chien.

Son chien parlait au portemanteau qui n’y comprenait que gouttes.
Les gouttes de pluie s’engouffraient par la baie restée ouverte.

La baie disait qu’elle n’avait pas vu un tel déluge depuis des lustres.

Le lustre s’inquiétait car le facteur n’était pas encore passé.

Le passé remontait à la surface de la baignoire.

La baignoire s’entretenait des derniers évènements avec le savon.

Le savon venait de passer sur son fils, pris les doigts dans la confiture.

La confiture se chamaillait avec sa feuille d’impôt.

L’impôt était prélevé sur l’assiette.

L’assiette avait le couvert assuré.

L’assuré social entra et prit sa chaise.

Qui, du coup, cessa de le suivre….

Un moment d’hésitation

3 septembre, 2009

 Il allait monter dans le train Orient Express Venise lorsque Luigi hésita. Bertille était déjà installée dans le compartiment réservé au jeune couple. Il fallait la rejoindre rapidement. Ce mariage avait été arrangé par son père. Luigi avait été convoqué un soir d’automne dans le bureau paternel pour entendre les mesures qu’avait prises le vieil Emilio pour sceller son destin. On ne résistait pas au vieil Emilio puisque le roi de la casserole avait résisté à tout : mai 68, l’arrivée des chinois sur le marché, la crise. L’immigré italien régnait sur les ustensiles ménagers depuis plusieurs décennies sans l’ombre d’une anicroche économique : un expansion régulière, des bénéfices permanents, des actionnaires heureux, aucun licenciement de salariés, mais une main de fer.

A l’aube de ses quatre vingt cinq ans, l’aristocrate sentant probablement sa fin prochaine avait été saisi d’une nouvelle ambition. Laisser sa marque dans les esprits. Et pour parler à son prochain, il fallait s’approprier les médias. De cette réflexion était née l’idée d’unir Luigi et Bertille, la fille d’Aymar Di Salvio. La famille Di Salvio présentait le double avantage d’être d’ascendance napolitaine et d’être propriétaire d’un des plus grands groupes de presse du pays. Bien entendu, Emilio n’avait aucune intention de se préoccuper de l’avis et encore moins du sentiment des deux futurs époux.

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Chantons!…. Enfin essayons!

2 septembre, 2009

Vladimir sort avec Natacha. La place Rouge est blanche, il faut dire qu’il a beaucoup neigé la nuit dernière et que les chasse-neige d’un modèle ancien ne supportent pas les grands froids.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Enfin, Paulo essaie de les ramasser à la pelle, mais beaucoup s’échappent poussées par le vent fripon. Ce serait beaucoup plus pratique avec un aspirateur adapté comme il en existe dans le commerce, mais la municipalité n’a plus de crédits. Seuls les manches de pelle très usagés on été remplacés.

Maurice arrive à Pôle Emploi comme tous les matins depuis quarante ans. Il parait que c’est comme ça qu’il faut dire maintenant. Qu’ont-ils fait de l’ANPE ? Maurice était le poinçonneur des Lilas. Il n’y a plus de place correspondant à sa qualification. Le conseiller ne le conseille plus : Maurice ne sait faire que des petits trous. Il faudrait lui trouver quelque chose à percer, il pourrait démontrer son savoir-faire.

Les portes du pénitencier vont bientôt se refermer. Enfin… ce n’est pas sur. Comme tout est commandé électroniquement maintenant, ça marche quand ça veut !

J’entends siffler le train. C’est d’ailleurs assez curieux parce qu’on ne peut plus dire aujourd’hui que le TGV émet un sifflement. Peut-être pourrait-on parler d’un feulement métallique, à la rigueur ! Ce doit être l’Autre. Je lui avais pourtant bien dit d’aller siffler sur la colline en cueillant un bouquet d’églantine.

J’aurais voulu être un artiste

1 septembre, 2009

  -          Je l’ai étranglé pour être célèbre… 

Le Commissaire Mariani avait écouté cette confession sans marquer de surprise. Il en avait tant entendu dans sa carrière que la confession d’un esprit dérangé ne pouvait pas le désarçonner. L’enquête allait être facile ce qui lui permettrait d’aller tranquillement au golf le prochain week-end pour travailler un peu son swing.

Dans ce quartier résidentiel, toutes les maisons se ressemblaient plus ou moins. Des volets fraîchement repeints, des façades d’un monotone ton pastel, des petits bouts de gazon destinés à donner un air pseudo champêtre à l’ensemble du lotissement. En été, par-dessus les mêmes haies, les voisins se saluaient cérémonieusement tout en manipulant les mêmes tondeuses qui pétaradaient joyeusement entre les mêmes massifs floraux.

L’homme avait sagement attendu la police aux cotés de sa victime dont le corps était allongé le long de sa piscine dans un peignoir de bain d’un rose fuchsia que le Commissaire trouva d’un certain mauvais goût. Un parasol à la gloire d’une boisson gazeuse semblait encore le protéger du soleil accablant d’un mois de juillet étouffant.

L’homme se nommait Ducard. Maurice Ducard. Il avoua d’emblée au Commissaire Mariani qu’il avait horreur de son prénom. Le policier lui répondit flegmatiquement que là n’était pas la question pour le moment et qu’on allait l’emmener au Commissariat pour un premier interrogatoire.

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