Archive pour le 23 septembre, 2009

Un fou de foot

23 septembre, 2009

Jeannine Duvernois en avait vu défilé des chefs de service! Aymar de Saint-Onge était un cas caricatural qu’elle avait aisément cerné dès son arrivée à la tête du siège de la Mutuelle des Artisans à Saint-Etienne.

A trente-cinq ans, Aymar présentait tous les symptômes de ce qu’il était : un énarque passé très rapidement dans le secteur privé. Jeannine n’aimait pas regarder cet homme : ses yeux étaient vides et froids; ils n’exprimaient rien, ou plutôt un vague dédain pour tous ceux qu’ils croisaient et qui n’avaient pas la chance d’être sortis du moule dans lequel la haute administration fabrique ses élites. Les inévitables lunettes étaient sans fantaisie. Le visage ressemblait à celui d’un adolescent, pas fini, vaguement boutonneux. Il rougissait facilement lorsque Aymar était contrarié sans qu’il ose vraiment le dire. Sa silhouette longiligne se déplaçait d’une démarche empruntée, maladroite : Jeannine avait constamment l’impression   qu’il ne savait pas quoi faire de ses bras.

Vis-à-vis de son entourage professionnel, il essayait d’adopter un ton poli, tout en étant autoritaire. Jeannine sentait que cet homme multipliait les efforts pour s’affirmer, mais qu’il avait un mal fou à se dominer et n’avait donc aucun talent pour dominer les autres. Sa voix se fêlait parfois en fin de phrase. Il voulait avoir de l’ascendant, mais il était trop embarrassé de lui-même pour y parvenir.

Il s’entêtait à ne pas établir d’autres rapports que professionnels avec ses employés tant il avait peur de voir mettre en cause le prestige de sa fonction de directeur général. Quand Jeannine risquait une simple allusion au temps qui régnait sur la capitale du Forez, elle voyait une ombre de panique passer sur son visage. A certains moments, pensant sans doute qu’il fallait sacrifier à un rite social et populaire, il arrivait à répondre en baissant le nez :

-« En effet, Jeannine, nous avons une belle saison… »

C’était le seul effort qu’il pouvait consentir. D’une voix étranglée, il se reprenait rapidement :

-« Jeannine, veuillez m’apporter le courrier du jour…. »

(suite…)