Un entretien d’évaluation particulier
19 septembre, 2009- Et si l’on parlait un peu de vos objectifs annuels ?
Nous sommes assis face à face autour d’une table ronde dans son bureau du troisième étage. C’est la première fois que je lui parle de mon sixième sens. Mais Georges Perrier ne comprend rien. Il doit conduire mon entretien d’évaluation annuel, c’est le seul évènement qui lui importe.
Je suis en train de lui expliquer que je suis doté de pouvoirs étranges, extrasensoriels qui devraient être beaucoup mieux exploités dans l’entreprise et lui, il me parle de mes objectifs annuels ! Par exemple, je suis capable dans une réunion de travail de rédiger son compte-rendu avant qu’elle ne se soit tenue tant ce que chacun va dire est une évidence pour moi. Perrier me regarde benoitement : il hésite entre l’envie de rire et la tentation de me virer qui le démange.
Perrier est un bon vivant, son ventre pansu débordant largement de ses ceintures de pantalon atteste de ses habitudes alimentaires plantureuses. Il promène un regard bleu électrique sur le monde dans un visage bouffi surmonté de cheveux gris peignés en brosse. En m’écoutant, ses joues rosies ont légèrement pali. Il a commencé par trouver mon discours intéressant mais comme j’insistai sur mes capacités de divination, il a voulu faire de l’humour en me demandant ce qu’il allait, selon mes visions, écrire dans mon dossier d’évaluation
La discussion se poursuit, un peu surréaliste, mais la loi est avec moi : j’ai le droit de m’exprimer lors de cet entretien. Je rappelle à Pérrier que je suis le seul à avoir deviner, à l’issue de la dernière réunion avec les japonais, que nos clients nippons allait nous lâcher en dépit ou à cause de leurs courbettes polies et leurs sourires sirupeux. Il m’avait alors vertement tancé et même accusé de défaitisme commercial, problème que nous aurions, selon ses dires, à réexaminer lors de mon évaluation professionnelle. Précisément celle qui se tient en ce bel après-midi d’automne. Or, ce matin même, Perrier a reçu un mail charmant de nos ex-partenaires japonais nous prévenant que nous pouvions faire le deuil du contrat mirobolant que nous avions envisagé.