Archive pour septembre, 2009

Hermann et ses meubles

30 septembre, 2009

Hermann était taillé comme une armoire à glace.

Il s’était installé dans le fauteuil du président : c’était un homme redouté.
Pour avoir l’air encore plus installé, il fumait des cigares gros comme des barreaux de chaise.

En matière de management, il en connaissait un rayon.

Ceux qui lui résistaient étaient mis dans un placard.

Il savait cuisiner les menteurs ou les hypocrites en les obligeant à se mettre à table.

Un jour, il tomba malade et dut garder le lit.

Son immobilité l’énerva : il traita l’infirmière qui s’empressait à son chevet de pouf, il dit qu’il avait l’impression de faire partie des meubles.

Le jour de son retour, il offrit un pot gigantesque à ses salariés en les submergeant de petits fours et de canapé de terrine ou de foie gras.

Il termina en prenant brillamment la parole, debout sur un tabouret.

Transformé par la maladie, il annonça qu’il distribuera toutes ses valeurs mobilières aux plus nécessiteux

La France d’en-bas

29 septembre, 2009

C’est comme ça. Après avoir épuisé les petites phrases des politiciens, la vie sexuelle des chanteuses,  les coulisses mercantiles du football, les voitures brûlées dans les banlieues, les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres…. il arrive toujours un moment où le rédacteur en chef d’un quotidien se dit qu’il faudrait peut-être parler des français…. Des vrais, ceux de tous les jours.

Cette profonde réflexion a saisi Dumortier un samedi matin. Dumortier est capable d’être au bureau le samedi, le dimanche, le 15 août…. Directeur du principal journal de cette région de province, il veut plus, beaucoup plus. Pour « monter » à Paris et avoir une chance de faire sa place dans la presse nationale, il lui faut un coup, un gros coup. Ce n’est pas dans cette minuscule capitale locale, installée sur les contreforts du Massif Central qu’il remportera le prix Pulitzer. Il en vient donc, comme tout le monde, à vouloir traiter le sujet suprême : les français.

Convoqué d’urgence dans son bureau ce samedi matin là, j’en sors avec une mission d’acier : plonger dans la France profonde et ne refaire surface qu’avec un reportage en plomb qui fera frémir jusque dans les rédactions parisiennes. Il lui faut du vécu, quelque chose qui sorte de l’ordinaire, qui montre que bien que Dumortier a la fibre populaire, qu’il ne fait pas du « people » à bon marché et que la presse française a bien de la chance de pouvoir compter sur un professionnel aussi pointilleux que lui sur l’éthique journalistique.

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Bonne nuit!

28 septembre, 2009

Georgette défendait âprement son dossier, elle ne s’allongerait pas.

Elle était assise sur un matelas de certitudes.

Lorsqu’elle étirait les bras, son corsage baillait.

Justin n’avait plus alors les yeux en face des trous.

Mais ce n’était pas le moment de se laisser endormir !

Il fallait se réveiller !

S’il se reposait sur ses lauriers, il serait bientôt dans de beaux draps car elle tirait toute la couverture à elle.

Il ne fallait pas lui faire son lit.

Les arguments de Georgette étaient cauchemardesques.

Son discours ronflait.

Si elle réussissait, il n’aurait plus qu’à aller se coucher.

Louis et Louisette

27 septembre, 2009

En cette fin d’après-midi du mois de juin 1954, Louis et Louisette sont tristes. Ils attendent pourtant la remise de leur diplôme dans la cour de l’école. Louis et Louisette sont les deux piliers du groupe scolaire Emile Zola qui draine les gamins du quartier ouvrier de la ville et qui se compose, comme souvent à cette époque, d’une école maternelle et de deux écoles primaires, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles.

Entrés par erreur à l’âge de 4 ans dans ces lieux, Louis et Louisette ont tout connu de la vie des dix dernières années de l’établissement. Ce sont des références. C’est eux que Madame Billon interroge pour savoir comment l’ancienne directrice classait ses dossiers. Enfin, ceux qu’elle classait ! Louis aime à rappeler lors de ses causeries à la récréation de 15 heures, les exploits de Madame Bertholet, la première responsable de l’école, dont la principale occupation consistait à chasser les papillons dans la cour des filles avec un vaste filet qui trône encore dans la loge du concierge.

Aujourd’hui, beaucoup d’autres souvenirs assaillent Louis et Louisette tandis qu’ils attendent le début des festivités officielles.

Louis est un grand garçon efflanqué, affublé d’un éternel tablier gris qui pendouille  lamentablement autour d’une silhouette fragile, affligée d’un début de scoliose d’adolescent. Il connaît beaucoup d’anecdotes de la vie de l’école. Son maître de CM2 depuis trois ans, Monsieur Julien le pousse souvent à conter devant ses camarades l’histoire de l’inauguration par le Conseiller Général du canton de la dernière classe construite. L’élu, sortant d’un banquet bien arrosé, n’a jamais pu finir son discours. Le directeur de l’époque a du se substituer à l’orateur prévu tandis que celui-ci, effondré sur une chaise de classe, décryptait, de ses yeux hagards, un livre d’images prévu pour les enfants de maternelle, en le tenant à l’envers.

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Les relevés bancaires de la Marquise

26 septembre, 2009

La Marquise espère un nouveau titre nobiliaire de sa Majesté.

Elle multiplie les actions pour accroître son crédit à la Cour.

Elle escompte que sa nouvelle garde robe produira de l’effet à court terme.

Elle n’épargne pas sa bourse pour soudoyer les valets du Roi.

Elle a du souscrire un prêt pour réparer le toit d’ardoise de son château de Touraine.

Les obligations de son rang ne lui permettent pas de thésauriser.

La Comtesse a pris une avance dans le cœur de sa Majesté.

Mais la Marquise lui rendra la monnaie de sa pièce.

Le Comte écrit des opérettes : la Marquise va se moquer publiquement du livret du Comte.

La Comtesse a aussi des avoirs à l’étranger : la Marquise l’a découvert.

La Comtesse est l’amie d’un souverain d’Orient : la Marquise s’opposera au Cheik.

En un mot, pour mettre la main sur le Trésor Public, les deux femmes ne manquent pas de provisions.

Violences scolaires

25 septembre, 2009

Dans le quartier où j’habite, toutes les maisons se touchent. En plus, elles se ressemblent : elles ont toutes un petit jardin sur l’arrière. Entre les voisins et nous, il y a une haie pour pas qu’ils voient ce qu’on mange en été ou qu’ils sachent ce que l’on regarde à la télé. Il parait que ça s’appelle des maisons en bande. Globalement, nous y sommes bien.

Le matin, c’est papa qui m’emmène à l’école. Il est tout beau papa, le matin. Généralement, il a une chemise sombre : bleu ou verte par exemple, avec une veste clair et une cravate très colorée. Et puis, il a l’air frais et il sent bon. Ce n’est pas comme le samedi ou le dimanche. Il met toujours le même pull et le même pantalon, très sales. Il parait qu’il est décontracté.

Le soir, j’ai de la chance, ma maman qui est infirmière scolaire dans un lycée peut me reprendre à cinq heures. En hiver, nous nous calfeutrons à la maison très tôt pour attendre le retour de mon père. Celui-ci rentre vers 19 heures tous les jours en criant qu’il est là. Puis il s’effondre dans le fauteuil, en disant :

-« Quelle journée !! »

Je suis Jérémy, j’ai 11 ans et je suis au CM2 de Madame Cavaillou. Elle est sympa Madame Cavaillou, petite, une voix très aiguë quand elle se fâche, mais en général sympa. L’an dernier, la maîtresse de CM1 était beaucoup plus terrible. Madame Cavaillou nous a déjà emmené au cirque. Certes, il a fallu faire un devoir sur le cirque après coup, mais c’était quand même bien.         

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Informatique et gastronomie

24 septembre, 2009

La dernière fois le riz avait collé et le client avait qu’il  fallait la lui copier celle-là !

Le serveur avait de la mémoire : il l’identifia dès son entrée.

Avec adresse, il présenta des cookies au client.

Le client les jeta à la corbeille.

Le serveur glissa un message dans la boite aux lettres de son directeur.

Son patron était une icône dans sa profession.

Son nom était gravé dans toutes les administrations.

Sa cuisine faisait recette.

Il sortit de son bureau avec son répertoire sous le bras.

Il demanda au client de changer son logiciel car son disque était rayé.

Le client sourit avec application.

Après avoir cédé, il but du rhum et partit chez son moniteur.

 

Un fou de foot

23 septembre, 2009

Jeannine Duvernois en avait vu défilé des chefs de service! Aymar de Saint-Onge était un cas caricatural qu’elle avait aisément cerné dès son arrivée à la tête du siège de la Mutuelle des Artisans à Saint-Etienne.

A trente-cinq ans, Aymar présentait tous les symptômes de ce qu’il était : un énarque passé très rapidement dans le secteur privé. Jeannine n’aimait pas regarder cet homme : ses yeux étaient vides et froids; ils n’exprimaient rien, ou plutôt un vague dédain pour tous ceux qu’ils croisaient et qui n’avaient pas la chance d’être sortis du moule dans lequel la haute administration fabrique ses élites. Les inévitables lunettes étaient sans fantaisie. Le visage ressemblait à celui d’un adolescent, pas fini, vaguement boutonneux. Il rougissait facilement lorsque Aymar était contrarié sans qu’il ose vraiment le dire. Sa silhouette longiligne se déplaçait d’une démarche empruntée, maladroite : Jeannine avait constamment l’impression   qu’il ne savait pas quoi faire de ses bras.

Vis-à-vis de son entourage professionnel, il essayait d’adopter un ton poli, tout en étant autoritaire. Jeannine sentait que cet homme multipliait les efforts pour s’affirmer, mais qu’il avait un mal fou à se dominer et n’avait donc aucun talent pour dominer les autres. Sa voix se fêlait parfois en fin de phrase. Il voulait avoir de l’ascendant, mais il était trop embarrassé de lui-même pour y parvenir.

Il s’entêtait à ne pas établir d’autres rapports que professionnels avec ses employés tant il avait peur de voir mettre en cause le prestige de sa fonction de directeur général. Quand Jeannine risquait une simple allusion au temps qui régnait sur la capitale du Forez, elle voyait une ombre de panique passer sur son visage. A certains moments, pensant sans doute qu’il fallait sacrifier à un rite social et populaire, il arrivait à répondre en baissant le nez :

-« En effet, Jeannine, nous avons une belle saison… »

C’était le seul effort qu’il pouvait consentir. D’une voix étranglée, il se reprenait rapidement :

-« Jeannine, veuillez m’apporter le courrier du jour…. »

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Que d’eau, que d’eau !

22 septembre, 2009

Ce soir là, Marius prenait un bain de pied pour se détendre.

Il en avait marre.

Il était plongé dans un océan d’incertitudes.

Tous ses projets étaient tombés dans le lac.

Les ennuis avaient dégringolé en cascade.

Devant son patron il s’était retrouvé le bec dans l’eau.

Sa renommée était à marée basse.

Les évènements avaient dépassé la cote d’alerte.

Il ne fallait pas se laisser entraîner par les flots mais au contraire surfer sur la vague.

Ce n’était pas la mer à boire.

Bientôt, il pourrait offrir une rivière de diamants à Marie.

Et se noyer dans l’onde de ses yeux clairs.

Mathilde

21 septembre, 2009

En ce début d’été 1894, maître Mathieu, notaire de Janville se frotta les mains. Depuis cinq ans qu’il avait repris l’étude de feu son père, les affaires marchaient de mieux en mieux. Il faut dire que dans cette petite bourgade beauceronne, sur la route d’Orléans à Chartes, les problèmes patrimoniaux étaient nombreux qui exigeaient son intervention rémunératrice. Les riches propriétaires céréaliers faisaient souvent appel à ses services pour régler quelques problèmes de succession, de vente, voire même de litiges entre voisins.

 Antoine Mathieu avait donc la vie qu’il avait désirée. Tout allait pour le mieux s’il n’avait du céder aux injonctions de son père qui l’avait quasiment marié de force à Blanche, la fille du maire, six ans auparavant. Blanche avait été élevée chez les sœurs. Elle était d’un caractère tourmenté, essentiellement préoccupée de religion et de la vie qu’il y avait lieu de se préparer dans l’au-delà. Le bigotisme n’était pas vraiment le centre d’intérêt d’Antoine. De plus, lorsque ses occupations dévotes lui laissaient quelques loisirs, Blanche passait son temps à l’hôpital pour visiter les malades. Physiquement, son allure était fantomatique, son visage émacié sans grâce, son regard exprimait un profond mysticisme.

A part le fait de ne pas déplaire à son père, Antoine n’avait vraiment aucune raison d’avoir voulu épouser Blanche. On ne peut même pas dire qu’il était malheureux en ménage puisque celui-ci se trouvait réduit au strict minimum.

Grâce au ciel, si l’on peut dire, le couple bénéficiait de la présence de Mathilde, une jeune servante qui avait été placée à leur service par une vieille connaissance du père d’Antoine.

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