Archive pour juillet, 2009

Des vacances de rêve

11 juillet, 2009

 Bertrand a fêté ses trois ans aujourd’hui. La journée a été éreintante, mais il s’est endormi malgré son excitation. Enfin, je vais plonger sous mes draps. Cette fois-ci, je suis bien décidée à passer le Mur du Sommeil.

Je l’escalade comme je peux, en suant et soufflant. Une première surprise m’attend de l’autre coté : Charlemagne !

-          Euh ! non, moi c’est le Père Noël !

Je m’excuse. Avec tous ces messieurs en barbe blanche, je m’y perds un peu. Il dit qu’il doit me faire visiter le Monde de Derrière le Mur et puis que j’ai de la chance parce que ce soir il était libre. J’aurais très bien pu être prise en charge par Lucifer ou je-ne-sais-quelle-entité-visqueuse-surnaturelle. Lui connaît beaucoup mieux les coins, les recoins et les endroits à la mode du Monde du Néant.

-          Vous avez votre ticket d’entrée ? ajoute-t-ilvert et rouge. En dépit de son grand âge, il réussit à paraître encore affreux. Il bave, une énorme fumée s’échappe de sa gueule à chaque expiration. Mon hôte me fait signe de ne pas faire de bruit. Enfin, c’est une façon de parler : dans ce monde, le bruit n’existe pas.

     -      Mario ne fait plus peur à personne, mais nous prenons l’air terrorisé quand il se lève pour qu’il ne nous fasse pas une dépression. Il dort le plus souvent et  parfois il essaie de passer le Mur du Sommeil dans l’autre sens. Il faut se mettre à plusieurs pour le retenir, je ne vois pas bien ce qu’il irait faire chez vous !

Je sens quelque chose qui m’effleure furtivement. Un point disparaît dans l’espace poursuivi d’une trace blanche :

-          C’est Nicomède, le ptérosaure. Il a parié qu’il dépasserait Mach 2 en ligne droite. Il s’entraîne dur.

(suite…)

Lucien et Maurice

10 juillet, 2009

Lucien Grognasson arrive à son Cercle des Anciens Officiers de Marine. Il tombe sur son ami Maurice Gromelle, un vieux copain de l’époque des colonies.

-          Mon pauvre Maurice ! C’est la crise !

Maurice acquiesce. Tout va mal. Le pouvoir d’achat est en berne, le chômage s’aggrave, le déficit public est un trou sans fond. Maurice résume la situation :

-          C’est plus comme de notre temps !

Lucien Grognasson renchérit : le marasme s’étend. Même son charcutier Sébastien Rougeaud est touché par la récession. Maurice se rend-il compte que Sébastien Rougeaud ne vend plus que des tranches de jambon à une clientèle qui se raréfie ?

Maurice ne savait qu’on en était là dans la charcuterie. C’est vraiment que tout va de mal en pis. D’ailleurs, il pense que le recul dépasse largement les limites de l’économie. Il constate un affaissement général des valeurs chez les jeunes. Plus aucun adolescent ne veut travailler de ses mains ! Lui est entré à l’usine à quatorze ans ! Ça vous forme un homme !

Lucien Grognasson et Maurice Gromelle ronchonnent contre l’air du temps et méditent un instant  tout en commandant une nouvelle bière au bar.

Et c’est à ce moment précis qu’ils aperçoivent par la fenêtre ouverte Josiane Dulampion, la voisine de Lucien Grognasson. Sa silhouette jeune et vive se balance harmonieusement au rythme de ses pas. Lucien Grognasson n’a jamais pu résister au charme de sa queue de cheval d’écolière et de ses fossettes rieuses. Les deux hommes se poussent du coude en admirant sa démarche. Et la lumière revient dans leurs regards.

Portraits de femmes

9 juillet, 2009

Le problème quand on mène une vie d’artiste, c’est qu’il arrive toujours un moment où il faut manger, se vêtir, se loger. De plus, lorsqu’on est plutôt spécialisé dans les fresques de deux cent mètres carrés, on ne trouve pas d’acheteurs tous les jours sur le pas de sa porte. Le Peintre a donc du accepté cette commande d’un grand seigneur de la ville sans enthousiasme mais avec reconnaissance. Le commanditaire est pressé, il va falloir faire vite. L’avance qu’il a versée sous forme d’une bourse rebondie, pleine de louis d’or, s’est avérée généreuse : le Peintre ne peut pas se permettre de déplaire. D’autant plus que l’influence du Prince s’étend bien au-delà des murs de la cité. Si le travail demandé est apprécié, d’autres commandes pourraient suivre. Mais le Peintre sait aussi que s’il échoue à satisfaire le désir de son client, son œuvre tombera rapidement en disgrâce. La concurrence est rude : il faut absolument que son ouvrage se distingue des productions habituelles des autres badigeonneurs de la région.

Dans l’urgence, le Peintre a préparé son atelier, ses pinceaux, ses mélanges et remis des rendez-vous à plus tard. Lui, le spécialiste des grandes surfaces, il a choisi de peindre un tableau de taille réduite, ça ira plus vite. Et puis, pour figurer dans un salon de la haute société, il n’est pas besoin d’une toile immense. Si le Prince n’y trouve pas son compte, le Peintre pourra toujours proposer de réaliser une deuxième œuvre identique qu’il disposerait dans deux pièces différentes. Ce serait original, le visiteur serait troublé. Il faudra qu’il creuse cette éventualité. La démarche pourrait être un argument de vente : deux tableaux pour le prix d’un. Le Peintre est rassuré par sa trouvaille.

La journée commence mal, le modèle qu’on lui avait promis est en retard. Le Peintre va commencer par peindre l’arrière-plan du tableau. Un paysage rural fondu dans un vague brouillard matinal, dans des tons mal définis : voilà qui suffira, il n’a pas vraiment le temps de déborder d’imagination. Et puis un décor aussi terne mettra le portrait en valeur. Le sujet véritable, c’est la jeune femme qui va poser pour lui.

(suite…)

La fin des Photographes

8 juillet, 2009

 Dans une contrée reculée, à une époque lointaine, vivait un peuple méconnu mais pourtant particulièrement curieux. Bien avant M.Niepce, les Zerglous avaient inventé la photographie.

Les photographes étaient  les Grands Prêtres de cette société. Ils constituaient la classe sociale la plus élevée. Eux seuls avaient le droit de porter la toge pourpre bordée de fils d’or. Ils étaient adulés et respectés des classes populaires. Leur dignité se transmettait de père en fils.

En effet, le pouvoir que les photographes avaient de maîtriser le temps en le figeant grâce à leurs drôles de machines leur conférait une supériorité manifeste par rapport au simple citoyen qui, lui, subissait les outrages des ans sans moyen de défense. Il était d’ailleurs interdit à un individu du peuple de détenir un appareil photographique sous peine de sanctions les plus sévères.

Les hommes et les femmes de ce peuple recouraient fréquemment aux services des Photographes moyennant une bourse bien pleine pour graver les instants heureux de leur vie : une naissance, une union, un belle prise à la chasse. Parfois même, on voyait un riche bourgeois à qui l’on avait conté une plaisante histoire se précipiter chez son photographe pour qu’il immortalise le moment où l’homme riait de tout son soûl.

A l’automne, on rencontrait souvent les Photographes opérer en pleine campagne pour prendre un cliché des paysages flamboyants qui viendraient orner les murs de la haute noblesse du pays. Les photographies circulaient de mains en mains et étaient le support à de nombreuses histoires racontées par les anciens pendant les veillées au coin de l’âtre. Ils pouvaient ainsi illustrer leurs souvenirs auprès des jeunes enfants qui dévoraient des yeux les prises de vue que leur ancêtre sortait de leur boîte avec toutes sortes de précautions gourmandes.

(suite…)

Le prisonnier

7 juillet, 2009

Le juge a dit que l’homme doit être emprisonné.

Il faut donc l’incarcérer.

Mais le condamné risque de semer la pagaille en prison !

Mettons le, seul, dans une cellule sordide d’où il ne verra pas le jour !

Bien entendu les visites sont interdites.

Et si on lui mettait les fers ? dit le maton.

Ou alors on pourrait le ligoter pour qu’il ne bouge pas ?

Mais il risque de clamer son innocence ! s’inquiéta le gardien.

C’est vrai : bâillonnons le !

Et s’il me regarde d’un air méprisant ? dit le geôlier.

Posons-lui un bandeau sur les yeux !

Le préposé de l’administration pénitentiaire s’interroge encore.

Et si l’homme haussait les épaules avec arrogance à son passage ?

Mettons-lui une camisole pour qu’il ne puisse bouger les membres !

Mais tout ça est inhumain ! répondit le gardien de prison

Un espoir désespérant

6 juillet, 2009

Just Van Bruycken s’éponge le front en courant de l’un à l’autre sur le plateau. Il peine à se déplacer, engoncé dans ses 120 kilos et ses costards à 1000 euros. A 60 ans, c’est un des rois de la production télévisuelle, mais depuis quelques temps, ce n’est plus comme avant. Les échecs se succèdent, les idées manquent. Ses collaborateurs le voient fréquemment ôter ses lunettes à fines montures dorées et passer sa main courtaude sur son crâne dégarni d’un geste las. Alimentée par ce genre de détails mesquins, la rumeur s’est vite répandue dans le milieu artistique : Van Bruycken n’est plus dans le coup.

Ce soir, il a l’impression de jouer le rôle du vieux lion qui va mener son dernier combat. Son légendaire regard gris bleu est constamment en mouvement, relevant chaque détail défectueux. Il houspille le décorateur : les colonnes grecques en carton pâte qui étaient prévues ne sont pas assez nombreuses. La sonorisation s’avère défaillante, il l’avait déjà signalé plusieurs fois à l’ingénieur. Les lumières n’éclairent rien. Avec Jessica, la présentatrice, il se montre soudain plus aimable : tout repose sur elle. La silhouette de la jeune femme s’impose en minirobe blanche, la poitrine largement offerte, la lourde chevelure blonde harmonieusement déroulée sur ses épaules rondes et satinées. 10 ans de métier, une élocution parfaite, une assurance à toute épreuve, il l’a choisie sans hésiter pour animer son émission, il sait qu’elle ne tremblera pas et qu’elle éblouira des millions de téléspectateur par sa présence élégante, sa prestance distinguée et son discours ferme sans être cassant. 

C’est d’autant plus important que Just Van Bruycken sait qu’il joue gros ce soir. Il a produit de multiples émissions de distractions ces dernières années. Le concours du cri du pélican en rut, c’était lui.La Ligue de Protection des animaux a obtenu, dès sa première diffusion, l’arrêt immédiat de l’émission jugée offensante pour le règne animal. Il a produit aussi la série des 100 plus grosses vedettes de la chanson ou du cinéma en France : c’était encore une trouvaille de sa société de production. Le concept était très drôle : on priait  les stars de monter sur une balance et seules celles qui atteignaient un certain poids étaient invitées. La rumeur rapporta que certaines vedettes auraient suivi un régime particulièrement calorifique pour bénéficier d’un temps d’antenne supplémentaire. L’an dernier, Van Bruycken avait aussi imaginé une émission sur l’adultère : toutes les semaines, trois candidats pouvaient venir raconter leurs frasques amoureuses. La plus belle aventure était couronnée de 10 000 euros. Des milliers d’hommes et de femmes se sont précipitées pour avoir le droit de conter leurs liaisons illégitimes. Le seul problème, c’est qu’après un début prometteur, le nombre de téléspectateurs, lassés des incartades sentimentales pitoyables de leurs concitoyens, s’effondra en quelques semaines.

(suite…)

La cuisine de Mauricette

5 juillet, 2009

C’est l’été.

Il faudrait ranger la cuisine, mais Mauricette n’a pas beaucoup de courage.

Elle va d’abord prendre un grand bol d’air pur.

Et puis peut-être lire le journal en s’allongeant sous le couvert de la tonnelle de son jardin.

En première page, il parait que quelqu’un a encore vu une soucoupe volante.

Plus loin, il y a les résultats d’une enquête pour les prochaines élections : la fourchette des sondages se resserre.

En page politique, on parle de l’assiette de l’impôt qui va être recalculée.

Un élu est de nouveau impliqué dans une affaire louche.

La gauche est à couteaux tirés avec la droite.

En sport, l’équipe de foot a encore perdu : le goal est une vraie passoire.

En rugby, les All Blacks n’y sont pas allé avec le dos de la cuiller.

Les nouvelles sont mauvaises, mais Mauricette pense qu’il faut savoir regarder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.

Elle s’endort. La valse des ustensiles de cuisine attendra.

Sacrée soirée !

4 juillet, 2009

L’atmosphère se trouble, la nuit commence à tomber. Je cherche fébrilement ma montre sous la manche de mon anorak : il est déjà 17 heures. Depuis quarante huit heures, la neige recouvre les toits, les champs et les bois. Rien ne rompt le silence sauf quelques corbeaux dérangés qui s’enfuient en faisant part de leur mauvaise humeur. Le froid se durcit. Bien qu’elle avance difficilement,  je presse Sylviane de rentrer rapidement à la maison. 

En dépit de mes mises en garde, elle a voulu absolument se promener avant cette soirée du réveillon de Noël. Dans son état, une ballade dans le froid n’était pas forcément très raisonnable. Mais on ne contrarie pas sa femme lorsqu’elle est à quelques jours de son premier accouchement. Je la suis attentivement sur le chemin du retour. Nos pas craquèlent la neige. Dans son embonpoint, Sylviane est jolie, pas ravissante, mais jolie : le rouge aux joues, le bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, elle a l’air heureuse, épanouie, et sereine. Je le suis beaucoup moins, j’ai hâte de retrouver le coin de l’âtre, à la maison, pour qu’elle se repose. A la place du fœtus, je n’apprécierais pas beaucoup cette promenade fantaisiste.

Nous dépassons la maison de la mère Croibier. Une vraie habitation de poupée : pierres apparentes, rideaux à fleurs aux fenêtres, volets bleu ciel, une volute de fumée s’échappe de la cheminée. Sur le pas de sa porte, la mère Croibier nous lance un signe d’amitié. Son chien Noiraud jappe, elle le rappelle à l’ordre. Des voitures immatriculées à Paris sont garées pêle-mêle dans la cour de sa ferme : la mère Croibier aura ses enfants autour d’elle, cette nuit. Tout va bien.

(suite…)

Reportage sportif

3 juillet, 2009

La partie débute par des buts.

Puis les buteurs butent sur l’arbitre qui fait le pitre.

Pourtant les demis ne font pas les choses à moitié.

Le latéral droit a un point au coté gauche.

Les arrières surveillent les leurs.

Une main est sifflée, mais la main fait semblant de ne pas avoir entendu.

L’ailier droit est fauché par un adversaire tordu.

Un coup franc est tiré par un joueur sournois.

Le gardien est sur ses gardes.

Le juge de touche en a une avec une spectatrice.

Le supporter se terre.

A la fin, la foule foule la pelouse. Du pied.

 

Une rédaction

2 juillet, 2009

 A 11 ans, personne ne me prend au sérieux. Vivement que je sois grand ! Au resto, j’imiterai papa quand il demande au garçon si sa sole meunière est bien, d’un air de celui à qui on ne la fait pas. En général le serveur n’a pas goûté son poisson, je vois qu’il est un peu gêné, ce qui ne l’empêche pas de déclarer qu’il recommande la sole meunière à Monsieur. Comme papa, je ferai semblant d’hésiter pendant que le garçon attendra respectueusement ma décision et puis je lui tendrai sa carte, en lui disant d’un ton négligé :

-« Oh ! Et puis je vous fait confiance ce soir Georges, faites pour le mieux ! »

Et là Georges s’inclinera bien bas, en murmurant que Monsieur a raison et que Monsieur ne sera pas déçu. J’espère que Georges s’appellera toujours Georges, ça me plait bien !

Quand je serai grand, je pourrai enfin conduire. Une voiture sportive bien entendu.

La Kangoo de papa s’avère pratique. D’ailleurs papa le fait fréquemment remarquer lorsqu’il est doublé sur l’autoroute. Sa voiture n’est pas nerveuse, mais qu’est-ce qu’elle est pratique ! Je conduirais bien sûr une décapotable que je garerai n’importe comment en sifflotant. Enfin, c’est comme ça que ça se passe au cinéma. Je me demande pourquoi dans les films, les héros trouvent toujours de la place pour se ranger du premier coup. Papa lui, fait trois tours du pâté de maison et est obligé de faire un créneau, à demi retourné sur lui-même, en ahanant, en pestant et en me criant de me tirer de là parce qu’il n’y voit rien. J’aurais bien aimé voir comment Steve Mac Queen ou Michael Douglas auraient abordé une scène de créneau !!

Et puis dès que j’aurai l’âge, je pourrai rester le soir à la télé. Sous de fallacieux prétextes, du type « je n’arrive pas à dormir», je regarderai des films interdits. Je ne manquerai pas aussi de  me faire admirer par les filles ou les reluquer. D’ailleurs, je bosse comme un dingue en gym pour avoir un buste montrable et la taille fine. Mon prof s’inquiète un peu : il dit qu’il n’a jamais vu un élève aussi assidu dans les exercices d’abdos. En sixième, il pense que ce n’est pas tout à fait normal. Lorsque je sortirai une fille, j’aurai de l’esprit, je la ferai rire et elle me regardera avec des yeux lumineux en pensant qu’elle a rencontré un Homme, enfin un vrai !

(suite…)

1234