Archive pour juillet, 2009

Un déjeuner bien arrosé

21 juillet, 2009

 Les habitants de l’immeuble avaient prévu depuis longtemps d’organiser un pique-nique à la campagne. Pendant toute la semaine Madame Dufour et maman nous avaient fiévreusement préparé un délicieux déjeuner. Tous pensaient que cette sortie viendrait à point pour divertir Madame Dufour qui portait noblement son veuvage depuis plusieurs mois déjà.

Il était convenu que nous monterions tous dans la calèche de Monsieur Durin, notre voisin. Outre Madame Dufour et sa fille Louise, ma mère et moi, nous étions accompagnés de Monsieur Durin et de son monocle, ainsi que par mon oncle Benjamin qui avait sorti, pour l’occasion, son nouveau canotier. Le cocher de Monsieur Durin avait attelé sa vieille jument Janette, dont j’aimais beaucoup flatté la crinière blonde qui contrastait avec son pelage brun.

Monsieur Durin s’amusait follement de cette équipée. Il se lissait les moustaches ce qui était parait-il, un indice de grande satisfaction chez lui. Il avait connaissance d’un petit coin de verdure charmant le long de
la Marne dont nous lui dirions sûrement des nouvelles. Tout au long du chemin ensoleillé, il chantonna gaiement pour le plus grand plaisir de Madame Dufour et de maman qui battaient joyeusement des mains. Pour distraire ses compagnes, Monsieur Durin racontait des historiettes charmantes. D’un air coquin, il demanda même à Madame Dufour, l’autorisation de l’appeler Pétronille. Celle-ci baissa prestement les yeux  et marmonna en souriant :

-          Oh !  Monsieur Durin, quel fripon vous faites !

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Entreprenons…

20 juillet, 2009

Les ventes augmentaient de manière exponentielle.

Le taux de croissance s’accroissait.

Les indicateurs de productivité s’envolaient.

Le ratio d’endettement à court terme se portait de mieux en mieux.

Grâce à une politique commerciale de remise, le pourcentage de fidélisation était très satisfaisant.

La trésorerie était bien garnie.

Le taux de rendement rendait le sourire aux  actionnaires.

Les licenciements économiques se passaient donc dans la joie.

 

Un instant d’éternité

19 juillet, 2009

Ce genre de catastrophe n’arrive pas sans prévenir. Elle est précédée de signes précurseurs qui ne trompent pas une sensibilité aussi délicate que la mienne.

Depuis quelques temps, les passants de mon pantalon se dérobent à ma ceinture, surtout ceux qui se situent dans le dos, juste au niveau du creux de mes reins. Mes mains se démènent dans le vide, je me tords vainement devant un miroir, je malmène mes articulations. Bernadette se moque. Parfois, j’abandonne mais mon élégance vestimentaire en souffre.

Souvent, je n’ai plus de chemise repassée pour partir un bureau. Devant le sourire narquois qui s’esquisse sur les lèvres de Bernadette et l’envie de mordre qui passe dans ses yeux d’émeraude, j’évite une remarque acerbe, je connais trop bien sa réponse.

Lorsque je suis pressé, la passoire à thé est désormais introuvable, je déjeune mal, très mal, mais je m’abstiens encore d’un affrontement conjugal. Je pourrais interroger Bernadette sur la propension de la passoire à disparaître au moment où j’en ai besoin. Mais il faudrait que je choisisse mes mots, je n’en ai plus le courage. Et puis Bernadette se fiche de mes déboires matinaux, elle prend du chocolat. Ce n’est pas le moment d’entreprendre une négociation sur des bases aussi fragiles. D’ailleurs avec Bernadette ce n’est jamais le moment !

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Histoires pâtissières

18 juillet, 2009

Il posa ses outils pour attaquer son clafoutis.

Sa tatan vint avec une tarte tatin sur une piste en tartan.

Les trois quarts dévorèrent le quatre quart.

D’un sou, il acheta un chou à la crème.

En un éclair, il dévora son éclair. Au chocolat. Là.

Très franc, il toisa le framboisier et mangea le fraisier.

Il préféra sa meringue à sa seringue.

Sa sœur Madeleine, nonette au couvent voisin, faisait des sablés délicieux.

Il en resta baba mais il s’enfila un baba au rhum. Comme un homme.

On n’a plus de pétrole !

17 juillet, 2009

A New York, le pétrole vient de crever le plafond des 200 dollars le baril. Les déplacements en voiture deviennent rares. Seules quelques automobiles officielles à cocarde tricolore, bénéficient encore de réserves cachées. La plupart des stations-service vendent désormais du tabac, du parfum, des bijoux mais rarement du carburant. Par contre, les vendeurs de bicyclettes font des affaires splendides.

Les rues désertées par les véhicules à essence sont envahies par les vélos, les piétons et puis des objets circulants divers : planches à roulettes ou trottinettes, parfois motorisées.

De nombreuses animations sont mises sur pied pour donner aux gens le goût du vélo. Le week-end dernier, j’ai même gagné une coupe à l’issue de la course de côte organisée par la mairie de mon quartier.

La nuit tombe doucement sur la ville. Par la fenêtre de mon salon, je regarde le spectacle de la rue. Les cyclistes s’époumonent sur la chaussée. J’observe Madame Berthier qui revient des courses sur le vélo rouge de sa mère. L’engin lourd et peu maniable servait déjà dans les sombres journées de 1943 pour passer des messages au nez et à la barbe des allemands. Madame Berthier souffre en silence en hommage à sa maman, grande résistante.

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L’accusé

16 juillet, 2009

Pendant longtemps, grâce à son trafic, il avait mis du beurre dans ses épinards.

Il avait mangé son pain blanc en racontant des salades qui ne manquaient pas de sel.

Mais ce jour-là, les carottes étaient cuites. Il fallait maintenant que l’Accusé se mette à table.

En découvrant les faits, le Commissaire Socisse était resté comme deux ronds de flancs.

Mais le Commissaire Socisse était un dur à cuire.

Il en avait soupé, la moutarde lui montait au nez, et il n’avait plus l’intention de faire le poireau.

On allait attaquer le plat de résistance.

L’Accusé allait devoir ne pas rester de glace et envoyer la sauce.

Au besoin, le Commissaire l’assaisonnera un peu.

Du vent

15 juillet, 2009

Le vent se leva d’humeur morose.

Gonfler les voiles pour emporter les bateaux en croisière ne l’amusait plus.

Ni faire voler les feuilles mortes en l’air pour distraire les poètes.

Et encore moins, agiter les roseaux d’une bise légère pour plaire aux amoureux en promenade.

Il se dit qu’il allait faire claquer quelques drapeaux et soulever les jupes des filles qui passent sur le pont de la rivière.

Et puis s’il y avait un feu qui couvait quelque part, il pourrait l’attiser ou encore agiter la mer qui est bien trop calme à son goût.

Il pourrait aussi faire perdre l’équipe de foot local en déviant les shoots au dernier moment, ce serait amusant !

Le vent se mit donc à souffler en bourrasques. Ce mot cinglant lui plaisait bien.

Et Dieu créa la France

14 juillet, 2009

Un jour Dieu décida de fabriquer la Terre. Le Saint-Esprit n’était pas franchement d’accord. Il connaissait bien les initiatives de son patron : chaque fois qu’il se lançait dans une nouvelle entreprise, les évènements tournaient en eau de boudin. Mais comme d’habitude Dieu ne tînt aucun compte de ses avertissements. Dieu organisa donc le Monde à sa guise. Il construisît cinq grands continents, chacun étant partagé en pays de tailles égales, entre lesquels les hommes se répartiraient harmonieusement. Le projet n’emballa pas du tout le Saint-Esprit, mais alors pas du tout. Le Saint-Esprit, qui voyait loin, pressentait que la Divinité Suprême allait encore leur attirer les pires ennuis.

Le Saint-Esprit pensait que Dieu, dans sa grande miséricorde ou alors dans son immense naïveté, n’avait pas encore compris que les hommes se comporteraient comme des êtres essentiellement irrationnels. Au lieu de se disperser uniformément dans l’espace, ils se feraient un malin plaisir de s’agglomérer dans des endroits qu’ils appelleraient Villes.

- Je parie même qu’ils vivront les uns sur les autres dans des espèces de constructions bâties en hauteur !

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Jules

13 juillet, 2009

Jules était un homme bien dans ses baskets.

Pourtant, d’autres, qui avaient souvent retourné leurs vestes, disaient de lui qu’il était à coté de ses pompes. Mais Jules se tenait droit dans ses bottes. Certes, il avait souvent pris une culotte et les autres ne prenaient pas de gants pour le lui faire remarquer.

Mais Jules savait que l’habit ne faisait pas le moine et qu’il saurait s’arrêter avant de perdre sa chemise. Les autres ne l’écharperaient pas. Leurs critiques étaient toujours les mêmes : c’était bonnet blanc et blanc bonnet. Il s’en fichait comme de ses premières barboteuses. D’ailleurs, il venait d’être récompensé de la cravate de l’Ordre National des Innocents.

Le virage

12 juillet, 2009

Il a garé sa voiture en contrebas en disposant une lettre bien visible sur son pare-brise. Il ne voudrait pas que cet « accident » provoque trop de soucis à ceux qui le découvriront.

La route monte en serpentant à travers la forêt de sapins. Il connaît ses lacets par cœur pour les avoir vaincus tant de fois en vélo lorsqu’il était jeune homme. Les yeux fermés, il pourrait dessiner les meilleures trajectoires pour atteindre le sommet sans trop souffrir. Il se rappelle parfaitement des faux plats qui lui permettaient de reprendre son souffle après les passages les plus pentus. Il se souvient qu’au sommet, il s’arrêtait, fourbu et joyeux, pour reprendre des forces en admirant la vallée dont il venait de s’élever à la force du jarret.

C’est là, dans un paysage familier, qu’il veut en finir. Il aurait pu utiliser beaucoup d’autres moyens pour quitter la vie. Bien sûr, il y a beaucoup réfléchi, mais il a souhaité passer ses derniers moments là où il fut souvent heureux.

Il a choisi son endroit : un virage roulant, serré et ombragé. Il sera bien : en plein mois d’août, il n’aura pas froid. Les alentours sont déserts en ce début d’après-midi : personne ne le découvrira avant quelques heures. Les touristes font encore la sieste, les bergers descendront des hauteurs bien plus tard dans la saison.

Il s’est rendu chez le coiffeur, s’est vêtu dignement, il ne s’agirait tout de même pas d’être confondu avec un vagabond sans le sou dans un moment pareil.

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