Le sens de la marche
26 juillet, 2009Gérard marche depuis un moment au milieu de la foule. Il vient de débarquer de son train. Dès la sortie de la gare, il s’est trouvé happé par cette vague populaire. L’air sent bon le printemps. Un doux soleil réchauffe le pavé. Mais Gérard a oublié que le mois de mai s’est installé depuis quelques jours et qu’au mois de mai en ville, on manifeste au même titre qu’on moissonne au mois d’août dans nos campagnes.
Les hommes et les femmes, criant et chantant, ont envahi la chaussée. Bras de chemise et robes légères s’agitent en cadence au rythme de tambourins invisibles. Gérard ne comprend pas ce que les gens psalmodient en choeur. De plus, il a l’impression que les manifestants ne comprennent pas ce que les haut-parleurs hurlent. Si bien que du début à la fin du défilé, les slogans ne sont pas les mêmes : ils se percutent, s’entrecroisent, fusionnent dans un brouhaha bruyant et inaudible. Par moment, Gérard croit entendre des mots : salaire, logement, papier… Mais la logique d’ensemble lui échappe. Il se demande s’il ne devrait pas consulter son othorino.
Gérard regarde autour de lui pour se rassurer. Il interroge Marcel, un jeune gars à l’air décidé qui lève le poing en éructant son mécontentement. Marcel s’indigne des licenciements dans son entreprise, il n’est pas encore dans la charrette, mais il se sent menacé. Il faudrait que Gérard comprenne que les patrons font des millions d’euros de bénéfices tout en jetant la main d’œuvre sur le pavé pour accroître encore leurs marges ! Gérard approuve fortement. Marcel s’excuse : il n’a pas que ça à faire. Il reprend sa marche en redressant sa banderole et vociférant de plus belle.