Et Dieu créa la France
Un jour Dieu décida de fabriquer la Terre. Le Saint-Esprit n’était pas franchement d’accord. Il connaissait bien les initiatives de son patron : chaque fois qu’il se lançait dans une nouvelle entreprise, les évènements tournaient en eau de boudin. Mais comme d’habitude Dieu ne tînt aucun compte de ses avertissements. Dieu organisa donc le Monde à sa guise. Il construisît cinq grands continents, chacun étant partagé en pays de tailles égales, entre lesquels les hommes se répartiraient harmonieusement. Le projet n’emballa pas du tout le Saint-Esprit, mais alors pas du tout. Le Saint-Esprit, qui voyait loin, pressentait que la Divinité Suprême allait encore leur attirer les pires ennuis.
Le Saint-Esprit pensait que Dieu, dans sa grande miséricorde ou alors dans son immense naïveté, n’avait pas encore compris que les hommes se comporteraient comme des êtres essentiellement irrationnels. Au lieu de se disperser uniformément dans l’espace, ils se feraient un malin plaisir de s’agglomérer dans des endroits qu’ils appelleraient Villes.
- Je parie même qu’ils vivront les uns sur les autres dans des espèces de constructions bâties en hauteur !
Le Saint-Esprit en déduisît que la Planète devait être à l’image de l’Homme: anarchique. Il proposa qu’on répartisse au hasard des morceaux de terre dans les océans.
Sur ses conseils, Dieu inventa le Royaume-Uni, le chapeau melon, le rugby et l’humour noir. Dieu fit remarquer que ces éléments formaient un ensemble un peu hétéroclite, voire farfelu. Le Saint-Esprit rétorqua que c’est justement ce mélange qui allait donner du caractère à la vie sur cette île et puis, de toutes façons, les anglais n’auraient qu’à se débrouiller avec ce qu’on leur donnait.
Dieu se dit qu’il pourrait aussi créer la Chine : un endroit plein de rites et de traditions mystérieuses. Pour pimenter la vie des habitants, on pourrait supprimer les fourchettes et les couteaux pour obliger les chinois à manger avec des baguettes. Le Saint-Esprit soupira : la nouvelle lubie du chef prenait des allures débiles.
Excédé, il proposa à son Maître, puisqu’on en était à délirer, d’imaginer la Corse. Elle abriterait de la garrigue, de la vigne, des chèvres. Dieu se gratta le front.
-Et pourquoi on ne jouerait pas au rugby en Corse ?
Le Saint-Esprit leva les yeux au ciel. Enfin, un peu plus haut…
A la fin, les deux entités surnaturelles regardèrent le plan du Monde tel qu’ils l’avaient imaginé. Dieu jugea que sa Création commençait à prendre forme. Mais le Saint-Esprit se piqua au jeu : on ne pouvait pas en rester là. Grâce à une opération de lui-même, il inventa Cuba en y imposant la fabrication et la pratique du cigare.
Dans la foulée, il posala Réunion en plein Océan Atlantique. Il se recula pour voir l’effet que sa trouvaille produisait. Non, finalement,
la Réunion serait mieux dans l’Océan Indien. On pourrait y faire venir beaucoup de touristes.
Dieu et le Saint-Esprit, tout à leurs occupations, ne se doutaient pas que, quelques kilomètres plus loin, Lucifer suivait l’opération de son oeil …malin. Dans l’ombre de son atelier, il estimait, lui aussi, avoir son mot à dire dans la Création du Monde. En l’occurrence, le Diable ne laisserait pas s’instaurer le paradis sur Terre, ce serait le comble ! Il instaura donc la dictature à Cuba et la tempête permanente au-dessus de la Réunion. Puis, il se frotta les mains d’un air méchant et émit un rire démoniaque.
Dieu ne s’avérait pas encore complètement convaincu par sa production. Il n’aimait pas trop ce bazar, tout en se rendant bien compte qu’il fallait donner aux hommes une nature sauvage à conquérir plutôt qu’une résidence parfaitement organisée où ils s’ennuieraient à mourir et tomberaient dans l’oisiveté, qui, comme chacun sait, engendre la turpitude.
Le Saint-Esprit sentit les réticences divines. Pris d’une subite d’inspiration, il inventa l’île de la Cité : on pourrait y construire une magnifique cathédrale, qu’on viendrait visiter du monde entier et qui serait dédiée à l’Adoration du Créateur.
Celui-ci prend l’air embarrassé, mais il est ravi :
- C’est trop ! C’est trop ! Enfin, puisque vous insistez….
Face à ce coup diabolique, Lucifer n’entendit pas rester inactif. Pour contrer les projets divins, il inventa Ibiza, une île où tous les plaisirs seraient réunis, surtout les plaisirs interdits : le jeu, la drogue, la sensualité, les nuits chaudes….. Un nouveau rire sardonique retentit dans son laboratoire. Les apprentis diablotins applaudirent à tout rompre : le patron était en forme ce soir !
Dieu commençait à s’amuser diablement. Et si l’on fabriquait l’île de Ré ? L’idée aiderait les cruciverbistes. Et puis l’île d’Oléron ? Les êtres humains seraient obligés de construire un pont ce qui les occuperait intelligemment. Le Diable contre-attaqua en infligeant un infâme péage aux futurs automobilistes aux deux extrémités de l’ouvrage.
Dans cette gigantesque partie de Monopoly, le Malin n’avait pas donné son dernier mot. Il imagina deux îles, recouvertes de glace complètement inhabitables, et les positionna aux deux extrémités du globe terrestre. Le Diable-adjoint félicita chaudement son maître : c’était un très mauvais coup porté à l’Humanité ! A ce point du récit, il faut rappeler que Raymond, le Diable-adjoint était parvenu à cette dignité à force de flagornerie et de servilité. Ne nous étonnons donc pas de sa réaction obséquieuse.
Dieu s’emballa : il positionna des îles de partout. Celle de Saint-Hélène, par exemple : elle pourrait servir à exiler des monarques indélicats. Le Diable répliqua par la Sicile : il en fit un repère de brigands. Dieu eut envie d’îles paradisiaques pour satisfaire les touristes : d’un claquements de doigts, les Maldives et les Seychelles apparurent. Le Diable avait un coup de retard, il se rattrapa en faisant surgir des volcans fumants et menaçants sur les créations divines : la Montagne Pelée en Martinique, par exemple.
Le Saint-Esprit commençait à s’inquiéter : Dieu ne s’arrêtait plus. C’était bien ce qu’il craignait : l’Etre Suprême jouait les apprentis sorciers. Il créa les Fidji. Le Diable y imposa aussitôt le rugby pour organiser un conflit avec les anglais. Dieu imagina les Bahamas, encore un Paradis touristique. Mais Lucifer en fit immédiatement un lieu d’évasion fiscale où toutes sortes d’affaires louches pourraient se traiter tranquillement entre hommes d’affaires peu scrupuleux.
Le Saint-Esprit tira Dieu par la manche. On allait peut-être s’en tenir là : les hommes auraient suffisamment à faire pour se développer dans un tel désordre. Dieu bouda un moment : il aurait volontiers continuer à jouer. Lorsque Dieu est contrarié, il ouvre le frigo pour grignoter.
En avalant distraitement quelques amuse-gueules, Dieu eut une dernière idée. Et s’il inventait un pays où la grogne des habitants serait permanente, chacun n’étant jamais content de son sort. On pourrait l’appeler France. Le Diable marqua sa surprise, mais n’y trouva rien à redire. Une telle nation serait absolument ingouvernable, continuellement paralysée par les grèves et les manifestations. Chacun y jalouserait son voisin et convoiterait la situation de son prochain. Comment pourrait-on vivre paisiblement dans une telle ambiance ?
Le Saint-Esprit écoeuré prit cinq jours de RTT.
Ça, c’est excellent! :p
Foi de Belge!