Le virage
12 juillet, 2009Il a garé sa voiture en contrebas en disposant une lettre bien visible sur son pare-brise. Il ne voudrait pas que cet « accident » provoque trop de soucis à ceux qui le découvriront.
La route monte en serpentant à travers la forêt de sapins. Il connaît ses lacets par cœur pour les avoir vaincus tant de fois en vélo lorsqu’il était jeune homme. Les yeux fermés, il pourrait dessiner les meilleures trajectoires pour atteindre le sommet sans trop souffrir. Il se rappelle parfaitement des faux plats qui lui permettaient de reprendre son souffle après les passages les plus pentus. Il se souvient qu’au sommet, il s’arrêtait, fourbu et joyeux, pour reprendre des forces en admirant la vallée dont il venait de s’élever à la force du jarret.
C’est là, dans un paysage familier, qu’il veut en finir. Il aurait pu utiliser beaucoup d’autres moyens pour quitter la vie. Bien sûr, il y a beaucoup réfléchi, mais il a souhaité passer ses derniers moments là où il fut souvent heureux.
Il a choisi son endroit : un virage roulant, serré et ombragé. Il sera bien : en plein mois d’août, il n’aura pas froid. Les alentours sont déserts en ce début d’après-midi : personne ne le découvrira avant quelques heures. Les touristes font encore la sieste, les bergers descendront des hauteurs bien plus tard dans la saison.
Il s’est rendu chez le coiffeur, s’est vêtu dignement, il ne s’agirait tout de même pas d’être confondu avec un vagabond sans le sou dans un moment pareil.