Portraits de femmes
9 juillet, 2009Le problème quand on mène une vie d’artiste, c’est qu’il arrive toujours un moment où il faut manger, se vêtir, se loger. De plus, lorsqu’on est plutôt spécialisé dans les fresques de deux cent mètres carrés, on ne trouve pas d’acheteurs tous les jours sur le pas de sa porte. Le Peintre a donc du accepté cette commande d’un grand seigneur de la ville sans enthousiasme mais avec reconnaissance. Le commanditaire est pressé, il va falloir faire vite. L’avance qu’il a versée sous forme d’une bourse rebondie, pleine de louis d’or, s’est avérée généreuse : le Peintre ne peut pas se permettre de déplaire. D’autant plus que l’influence du Prince s’étend bien au-delà des murs de la cité. Si le travail demandé est apprécié, d’autres commandes pourraient suivre. Mais le Peintre sait aussi que s’il échoue à satisfaire le désir de son client, son œuvre tombera rapidement en disgrâce. La concurrence est rude : il faut absolument que son ouvrage se distingue des productions habituelles des autres badigeonneurs de la région.
Dans l’urgence, le Peintre a préparé son atelier, ses pinceaux, ses mélanges et remis des rendez-vous à plus tard. Lui, le spécialiste des grandes surfaces, il a choisi de peindre un tableau de taille réduite, ça ira plus vite. Et puis, pour figurer dans un salon de la haute société, il n’est pas besoin d’une toile immense. Si le Prince n’y trouve pas son compte, le Peintre pourra toujours proposer de réaliser une deuxième œuvre identique qu’il disposerait dans deux pièces différentes. Ce serait original, le visiteur serait troublé. Il faudra qu’il creuse cette éventualité. La démarche pourrait être un argument de vente : deux tableaux pour le prix d’un. Le Peintre est rassuré par sa trouvaille.
La journée commence mal, le modèle qu’on lui avait promis est en retard. Le Peintre va commencer par peindre l’arrière-plan du tableau. Un paysage rural fondu dans un vague brouillard matinal, dans des tons mal définis : voilà qui suffira, il n’a pas vraiment le temps de déborder d’imagination. Et puis un décor aussi terne mettra le portrait en valeur. Le sujet véritable, c’est la jeune femme qui va poser pour lui.