Les conjurés sont prêts au jour dit. Personne n’a trahi le serment. Louis a apporté la banderole, dissimulée sous d’amples vêtements. Jean s’est chargé de la corne de brume. Quant à Richard, il a su trouver un haut-parleur. Marc est l’organisateur, il dirigera l’opération, il a tout planifié dans les moindres détails depuis de longues semaines.
-Tu me fais honte !
Louis n’en peut plus d’entendre cette phrase quotidienne dans la bouche de son père. Comment peut-on faire honte à ses parents ? A 14 ans, il pèse quatre vingt kilos. Il est mal dans son corps disproportionné, adipeux et odieux. Les autres, en mal d’inspiration, l’ont immanquablement surnommé Bouboule. Lorsqu’il faut courir en classe de gym, c’est un vrai supplice. Lorsqu’il faut s’habiller, sa mère a du mal à le vêtir dans une taille adaptée. Lorsqu’il faut sortir, les coups d’oeil apitoyés ou ironiques des passants sur sa démarche le hérissent.
Le soir, Louis se regarde et maudit son anatomie. Sa souffrance se répercute sur ses résultats scolaires. Il ne peut se concentrer : devant l’immensité du dégoût que lui inspire son propre physique, les théorèmes de Thalès, Chasles et autres confrères mathématiciens lui apparaissent comme d’incompréhensibles élucubrations émises par des hommes à qui leur corps n’a jamais causé le moindre souci.
Parfois, il se révolte, Louis. Il faut qu’il existe autrement que par son poids excessif. Ainsi, il s’énerve devant sa mère qu’il craint moins que son père. Il parle mal, tape du pied, s’enferme dans sa chambre en claquant la porte. De toute façon, il sait que Paul, son géniteur, laissera tomber imperturbablement sa sentence favorite :
- Et en plus, ce gosse est mal élevé !
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