La soirée de Lucien Grognasson
18 juin, 2009Ce soir-là alors que les ombres du crépuscule gagnaient son salon, Lucien Grognasson revécut un instant sa grande époque coloniale.
Chaque matin, le major Grognasson, en uniforme blanc impeccable déjeunait sur la terrasse de sa villa alors que la forêt émergeait lentement de son écharpe de brume et que les cacatoès éveillaient de leurs cris rauques une faune inconnue et monstrueuse.
Dans la cour, son boy Idriss procédait comme chaque jour au lever des couleurs en massacrant l’hymne national sur un vieil électrophone dont il ne se séparait jamais tandis que les domestiques s’affairaient déjà au ménage et au linge.
Au loin, les silhouettes déhanchées des femmes du village revenaient du marché en portant de lourdes charges sur le sommet du crâne.
Ce soir-là, Lucien Grognasson effaça d’un geste las les souvenirs qui l’assaillaient, ouvrit une boite de raviolis, la télé pour suivre une émission de variétés débile et sa feuille d’impôts pour achever sa déclaration fiscale.