Soit V, la vitesse de rotation de la monnaie.

 Quelqu’un trouve un billet. Un beau billet de 10 euros, presque neuf qui avait l’air de l’attendre sur le trottoir au pied d’un platane. Il ne va quand même pas l’empocher ce billet alors qu’à quelques mètres de là, le Pauvre tend la main. Il donne le billet au Pauvre. Le Pauvre préfère les pièces, elles lui donnent l’impression d’être plus riche. Mais il ne va pas mégoter sur des détails, il faut commencer par manger.

Le Pauvre se rend à la gare pour acheter un sandwich au Bar’stop qui accueille de si nombreux voyageurs affamés, en partance ou à la descente de leur train. Le Pauvre donne son billet à la Marchande de Sandwichs qui trouve un peu bizarre qu’un Pauvre puisse se nourrir. Mais avec cette politique gouvernementale de distribution de minima sociaux, il faut s’attendre à tout. La Marchande de Sandwiches lui rend la monnaie et  un thon-salade avec mayonnaise.


La Marchande de Sandwich accueille l’Homme d’Affaires. Il est important, l’Homme d’Affaires. D’ailleurs la Marchande de Sandwich juge sa surface financière à la coupe de son costume. Et puis surtout, l’Homme d’Affaires lui tend un billet de 50 euros. Ce n’est pas tout le monde qui peut réussir cet exploit par les temps qui courent. En retour, la Marchande de Sandwich lui rend le billet du Pauvre, elle juge plus prudent de s’en débarrasser rapidement.

L’Homme d’Affaire se rend à son hôtel où une suite de haut confort lui est réservée à l’année. Le Garçon d’Etage reçoit en pourboire le billet de 10 euros. C’est un peu maigre, d’habitude l’Homme d’Affaires se montre plus généreux. Mais aujourd’hui, le Garçon d’Etage a l’impression que l’ambiance s’accommoderait mal d’une revendication salariale : l’Homme d’Affaires est de mauvaise humeur. Ça ne l’étonne pas puisque les affaires vont mal : le Garçon d’étage l’a lu ce matin dans les journaux.

Le Garçon d’Etage a des habitudes au Bar d’en face où il joue au Loto. Il rêve du jour où, après avoir porté les valises des Célébrités, un autre Garçon d’Etage s’empressera de le suivre avec les siennes. En guise de vengeance sur son destin, il se débrouillera pour remplir de nombreux bagages avec n’importe quoi : il pourrait alors être suivi par plusieurs Garçons d’Etages suant, ahanant, soufflant sous le poids de ses effets personnels. Le Garçon d’Etage traverse la rue et  tend donc le fameux billet au Buraliste qui dit merci, mot auquel le Garçon d’Etage répond qu’il l’en prie.

Le Buraliste est assiégé par son gamin de 17 ans. Il sort avec une copine, il a besoin de se montrer à son avantage en lui offrant un superbe Coca. Le père s’inquiète de l’identité de « cette fille ». L’Adolescent interroge son père sur le point de savoir l’utilisation qu’il compte faire d’un tel renseignement. Les clients se pressent dans la boutique, le Buraliste n’a pas le temps de discuter, il cède. L’Adolescent part en fin avec le billet de 10 euros en poche et l’espoir de conquérir Valentine qui lui échappe depuis le début de l’année scolaire et qui fait les yeux doux à Momo, le mec le plus baraqué de la classe.

L’Adolescent et la jeune fille sont enfin attablés. Il la fait rire en se moquant des passant. Ses joues roses et fraîches, son regard clair et sa queue de cheval qui dégage son cou gracile le subjugue. Lui aussi espère bien subjuguer : il s’est laissé à tout hasard  pousser un peu de barbe au menton pour accentuer son air viril. Le Cafetier s’approche et demande ce que ça sera pour ces jeunes. L’adolescent fait semblant de réfléchir pour montrer à sa compagne qu’il a l’habitude des bars de la ville et qu’il sait choisir ce qu’il y a de mieux parmi leurs nombreuses consommations. Bien entendu, le garçon et sa conquête se trouveront nez à nez avec deux Cocas tandis que le Cafetier empoche le billet de dix euros.

Le Cafetier est un homme prudent. Il a un détecteur de faux billets. Avec les histoires de jeunes que l’on entend à la radio, il vaut mieux vérifier la provenance de leur argent : le billet, malgré son air neuf, est légal. Mais ça ne fait rien, il faut redoubler de prudence. Le Juge qui travaille au Tribunal voisin vient justement de finir son café. Le Cafetier lui tend le billet de 10 euros en rendant la monnaie au magistrat. Un Juge ne pourra jamais être accusé de blanchir de l’argent sale, pense-t-il !

Le Juge cache ses rondeurs sous un ample costume trois pièces. Une montre à l’ancienne barre de sa chaîne argentée sa panse proéminente. Il plie soigneusement le billet et le camoufle dans la poche de son gilet. Il a des affaires importantes qui l’attendent au Tribunal. En chemin, dans une rue étroite, il sent soudain un objet dur entre ses côtes : il est agressé par un Voleur. Le Voleur soutire au Juge tout son argent dont le fameux billet. Il lui laisse sa montre après avoir hésité : que pourrait-il donc tirer de cette antiquité ?

Le Voleur fait ses comptes dans un recoin de mur. Le coup fut facile, l’homme n’a pas résisté, mais la recette s’avère un peu maigrichonne. Elle suffira néanmoins pour se procurer sa dose de stupéfiant. Il faut qu’il trouve le Revendeur qui d’habitude se tient à l’angle du boulevard. Les deux malfrats se saluent discrètement. Mais la Police veille et intervient au beau milieu de la transaction. Le Voleur s’enfuit à toutes jambes poursuivit par des coups de sifflets stridents.

Dans sa course, le billet de dix euros s’envole et tombe sur le trottoir au pied du platane, juste devant le Pauvre qui continue à tendre la main.

Quelqu’un trouve un billet….

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